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28.08.2011

Brassens et Aline Giono

Je transmets  ici une chronique d'André Tillieu, extraite de son livre paru en 2000 chez Arthémus, "d'affectueuses révérences".
André Tillieu, dit Le Belge, était un proche de Georges Brassens.

*

dyn004_original_472_650_pjpeg_2602302_a196b907d4635e571c63180de2dcf98e.jpg" On n’ignore pas la haute estime où Giono tenait Georges Brassens. Deux lettres en attestent où Jean le Bleu parle notamment de la poésie, du rythme, de la désinvolture des chansons du bon maître.

Ce qu’on sait moins, c’est qu’Aline Giono, la fille de l’écrivain, avait, elle aussi, été séduite par l’œuvre de Brassens.
A preuve : En octobre 1972, elle manifesta le désir, par le biais d’André Bernard, d’assister à la première de Bobino. On affichait « guichets fermés » depuis belle lurette déjà. Georges, flatté, lança : «  Qu’elle vienne ! On lui trouvera bien une place, ne serait-ce que dans les coulisses. »
Elle en eut une au parterre : bien calée pour assister au triomphe !
Elle se risqua même en coulisse, mais refusa obstinément d’aller importuner dans sa loge un artiste qui ne la connaissait pas.

Aline Giono avait de qui tenir : Elle avait une étonnante vivacité d’esprit, un humour roboratif, mais était d’une réserve, d’une délicatesse sans faille.
Georges regretta cette retenue mais apprécia le geste.

Du moins Aline avait-elle consenti…à venir chez nous à Bruxelles, une ville qu’elle aima instantanément. Elle devint, comme on dit, l’amie de la famille. En toute simplicité.
Elle s’arrangea pour faire parvenir à Brassens quelques livres afin de le remercier de la glorieuse soirée. Mais pas des Giono : « Je ne veux pas lui forcer la main. Il peut très bien ne pas aimer mon père… »

Il aimait plutôt, évidemment.

Malgré plusieurs propositions de rencontre avec Brassens, Aline se dérobait toujours : « Plus tard, plus tard…cet homme est tellement sollicité qu’il n’a plus le temps de recevoir ses amis et de goûter un peu la solitude ».
La pudeur en alarme noircissait le tableau.

 En octobre 76, Aline fut de la première à Bobino, héroïque comme les précédentes. Personne ne savait que ce serait l’ultime première.
Elle accepta, ce jour-là, après quatre ans de retenue, d’aller saluer l’artisan dans sa loge après l’ovation. Deux mains se serrèrent, deux regards se croisèrent, deux sourires furent échangés et un silence compact s’installa. Mais ce silence était méditerranéen, parfumé d’ail et de lavande.
Bref, on peut dire que tout fut pour le mieux.
Depuis lors, Aline, libérée,  brula d’envie de se retrouver en tête-à-tête avec « tonton Georges », bien que, dans les termes, elle en fut toujours au « plus tard »…  «  rien ne presse ». Pourtant l’idée progressait dans sa tête : Elle correspondait avec Louis Nucera, elle lisait Alphonse Boudard dans d’immenses éclats de rire. Et puis, en juin 78, elle accepta enfin « une petite bouffe » chez Pierre Vedel, l’aubergiste du coin, Sétois de surcroît.
Outre Georges et Aline, il y aurait Nucera, Boudard et mézigue. Le Sud était majoritaire.

Cela se passa le 2 juin 78.
Elle se pointa au 42 de Santos-Dumont, parée comme une princesse (je veux dire avec discrétion), la lèvre fine pinçait son plaisir, l’œil, plus florentin que jamais, au milieu d’une énorme satisfaction laissait percer quelque désarroi : " Serai-je à la hauteur ?..."
Dès l’anisette, il fut acquis que la fine Aline n’était pas seulement tolérée mais admise. Elle eut droit illico au vocabulaire intégral, parfois rude, de l’amitié. Alphonse y aida quelque peu.
Après le repas, Aline ne dédaigna pas un petit aparté supplémentaire dans le séjour de Santos.
Le lendemain, elle m’écrivit une lettre d’une spontanéité exemplaire et qui en ravira sans doute plus d’un.

« Comme le célébrissime » tonton Georges » est simple et gentil sans effort ! je me dis que j’ai passé la journée en compagnie de l’homme le plus populaire et le plus aimé en France (à juste titre), qu’il pourrait en laisser paraître un brin de vanité, un soupçon de cabotinage, une ombre d’agacement, etc., etc., et qu’au contraire, cela ne se sent pas du tout, du tout. C’est plus que « sympathique » : C’est drôlement réconfortant.

J’ai même l’impression qu’il s’est tenu volontairement un peu en retrait pour ne pas gêner les épanchements - d’ailleurs fort drôles et pleins de verve - d’Alphonse !...

Bref, je me suis absolument régalée - et je ne parle pas ici du repas, quoique là aussi …

Je sais que ce n’est pas tout à fait moi, mais un peu le reflet de mon père, que je représente, qui a permis que je m’ajoute un moment à cette compagnie si épatante. Mais cela ne retire rien à mon plaisir, et je me sens très fière et très honorée d’avoir participé à cette journée.

Je vous charge de le faire savoir à qui de droit, car je ne vais pas encore ennuyer "tonton Georges" en lui envoyant quelque remerciement bien plat. Vous êtes le messager idéal, car vous saurez transformer cette platitude en phrases inspirées par une amitié plus familière que la mienne. »

Le pli était pris.
Il fallait rendre la politesse à Georges. Nous fûmes invités tous les quatre à un raout, un soir de février 79,  au Boulevard Montparnasse où Aline habitait. Louis Nucera dut se désister pour des raisons vélocipédiques : il arpentait les grands cols. Il fut remplacé par Zoé, une amie fidèle des Giono. Emue par la présence de Georges (et peut-être d’Alphonse aussi), Aline nous servit en guise de hors-d’œuvre un poisson proprement calciné, que chacun dégusta comme le fin du fin de la gastronomie piscicole.
Le camp fut levé sur les deux heures du matin, ou pire.

On promit de se revoir.

Et puis, la mort a fait le reste."

 Illustration : Denys-Louis Colaux

08:00 Publié dans Brassens | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

C'est saisissant, comme le détournement de ce vers de "l'orage" clôt ce texte. Merci pour ce beau témoignage.

Écrit par : solko | 01.09.2010

Oui,chute pathétique, en forme de détournement comme les affectionnait Brassens lui-même.

"Je suis hanté , le rut!le rut ! le rut !" pour, chez Mallarmé, : " Je suis hanté, l'azur ! l'azur ! l'azur !"

Ou encore, comme le signale Denys-Louis colaux, un pastiche Anatole France / Paul Valéry dans "Mourir pour des idéées :
" Les dieux ont toujours soif,n'en ont jamais assez,
Et c'est la mort, la mort, toujours recommencée"

Écrit par : Bertrand | 02.09.2010

Plus qu'une chute pathétique, je vois dans ce dernier vers, une amphibologie pleine d'humour.

Écrit par : ArD | 28.08.2011

Les commentaires sont fermés.