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15.04.2010

Contes et légendes de Podlachie - 3 -

Nid de cigognes blanches Cambron Casteau_Fasol.JPG

La cigogne


Il était une fois...
Non, ça n'est pas vraiment très habile de commencer de la sorte. Je crois savoir que ce début fut déjà
utilisé pour ouvrir d'autres contes et légendes.
En des temps jadis...Hum, c'est mieux. Mais ça fleure encore un peu  le déjà vu....Autrefois, alors ?
Allons-y pour autrefois. C'est un mot passe-partout.
Autrefois, donc, en ces temps reculés où  les Jadzvingues nomadaient encore sur les plaines de Podlachie, vivait parmi les hommes un homme pauvre, ce qui n'est pas très original, et de cœur foncièrement honnête, ce qui l'est déjà beaucoup plus, s'agissant d'un homme.
Cet honnête homme, cet homme honnête plus exactement, hélas, n'aimait point à réfléchir. Disons qu'il n'était pas très futé dans sa tête loyale.
Il advint qu'il reçut, gravé sur de l'écorce de chêne, un message de haute tenue et qui le priait
de se rendre chez le grand Péroun, dieu des foudres et des tempêtes.
L'homme bon ayant diligemment obtempéré - comme tout homme destinataire
d'une divine missive l'eût fait  -  s'entendit alors confier une mission de la plus haute importance.
Voilà, lui dit la puissance céleste, un sac très lourd. Je te serai éternellement reconnaissant et ton nom méritera d'être inscrit sur le front des nuages si tu le portes jusqu'au Bug et l'y jettes très loin, parmi les remous les plus profonds...Je t'ai choisi parmi tous les Jadzvingues parce que tu es bon et honnête. Car il s'agira de te garder d'ouvrir ce sac, sous quelque prétexte que ce soit.
Va, mon ami, et que le Bug engloutisse à jamais ce fardeau !
Notre homme était perplexe, on s'en doute sans doute, mais promit cependant d'obéir.
Chemin faisant, il arriva au cœur d'une petite clairière qu'inondaient les pâleurs de la lune.
De esprits menaient là grands tapages, dansaient, s'enivraient, chantaient et, même, se livraient sur les mousses du sol à de suaves et frénétiques plaisirs que rigoureusement ma mère m'a défendu de nommer ici.
Ces joyeux lutins interpellèrent gaiement le brave homme croulant sous son faix, firent autour de lui  une joyeuse sarabande et se mirent en devoir de le
gentiment brocarder.
Sais-tu ce que tu portes là, sur ton dos fatigué ? Ce sont tous les vices et tous les malheurs du monde...Et tu vas les jeter dans le Bug sans même les avoir jamais vus ? Mais comment peux-tu prétendre être un homme vertueux si tu n'as jamais vu, de près, les vices et les passions des hommes ?
Ouvre ton sac, regarde-les bien dans les yeux et, ainsi, en plus d'être honnête, tu seras devenu un sage parmi les sages puisque,  ayant touché de tes mains les luxures, tu les auras bravées...
Le messager du dieu trouva, ma foi, le discours des lutins fort intelligent et, piqué par la curiosité, ouvrit tout grand son fardeau.
Tous les vices et tous les malheurs du monde s'évadèrent alors de leur prison, ricanant et poussant vers la lune des hurlements de joie, accompagnés par les applaudissements des lutins facétieux.
Le pauvre homme, jugeant, un peu tard, qu'il avait été la dupe de ces farfadets, s'en revint tout penaud vers le dieu, assis sur les foudres et les éclairs.
Est-ce besoin de vous dire que ce dernier lâcha la bonde et donna libre cours à son ire ? Et un dieu qui lâche la bonde, ça n'est jamais très bon, certes,  mais ça l'est encore moins s'agissant d'un dieu ayant en charge l'administration des orages et des ouragans.
Tu es un mauvais serviteur et un parjure. Je te condamne à l'errance éternelle, d'un point du globe à un autre, tourmenté par l'insatisfaction permanente, en proie aux éternels regrets, sans maison ni patrie.
Et le dieu saisissant un morceau du charbon avec lequel il avait coutume d'allumer les foudres, en frappa le pauvre homme, au niveau des deux épaules.
Le coupable aussitôt se métamorphosa en cigogne et le grand oiseau garda sur ses ailes l'indélébile stigmate de sa faute.

Dès lors, la cigogne n'a cessé de vagabonder, des plaines de Podlachie aux antipodes de l'Afrique, jamais chez elle.
Qui pleure son nid
en quittant chaque automne la patrie des Jadzvingues et qui regrette  amèrement la tiédeur des climats de ses exils méridionaux, chaque équinoxe du printemps revenu.

10:48 Publié dans Contes et légendes de Podlachie | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

A part le fait qu'elle vole du Sud au Nord et toi que tu chemines de l'Ouest à l'Est, il y a une ressemblance dans votre errance, non?

Écrit par : Feuilly | 15.04.2010

Non point.
Car jamais un dieu ne m'a confié une quelconque mission, à moué...

Écrit par : Bertrand | 15.04.2010

Elle n'a jamais cessé non plus, depuis, d'inonder le monde de ses petits !

Écrit par : solko | 15.04.2010

Les cigognes n'errent jamais. Elles savent ou elles vont et pourquoi elles y vont.

Écrit par : barbara | 15.04.2010

@Solko : Ouais....Le dieu des foudres n'avait point prévu ça.
Peut-être est-ce pour édulcorer un peu la damnation...
Et je fais donc remarquer à notre ami Feuilly que c'est une cigogne errante qui l'a mis là où il est. Hi !

Écrit par : Bertrand | 15.04.2010

@Barbara : Bien sûr...Mais que seraient les légendes si elles s'attachaient à décrire le monde ?
Ce ne serait plus des légendes mais des traités...
Quoiqu'il m'ait été donné de lire des traités aux accents de légendes...
Mais c'était bien malgré eux.

Écrit par : Bertrand | 15.04.2010

J'adore "on s'en doute sans doute"...

Et les oies blanches alors ? ayant touché de leurs blanches ailes les luxures, les auraient-elles bravées ?..

Écrit par : Michèle | 15.04.2010

Toujours aussi beau...
Merci beaucoup

Écrit par : voyageuse | 15.04.2010

Chère Michèle, les oies blanches ne bravent pas les luxures. Ce sont les luxures qui les bravent. Rarement en vain, d'ailleurs...

Merci voyageuse de régulièrement revenir vers ces quartiers de Podlachie.

Écrit par : Bertrand | 15.04.2010

Waw, mon cher Bertrand j'ai perdu une occasion de me taire. Pauvres petites oies blanches...

Écrit par : Michèle | 16.04.2010

C'est avec un réel plaisir que je vous retrouverai sur votre rocher jeudi prochain...

Écrit par : voyageuse | 16.04.2010

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