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08.04.2010

Contes et légendes de Podlachie -2 -

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Les tulipes

Sur les plaines de Podlachie qu'aplatissait le souffle de la Baltique, un souffle du nord, tout gris, tout mouillé d'avoir trop longtemps couru sur l'écume et les sables lointains, l'étranger apparut un soir.
Il semblait surgir de derrière le ciel tombé sur l'horizon. Il montait un cheval ordinaire, sans éclat, sans noblesse, et lui-même n'était ni beau, ni resplendissant. Son visage était long, ses yeux semblaient mélancoliques, ses vêtements étaient pauvres sans être des haillons.
De longs cheveux jaunes flottaient sur ses maigres épaules.
La nuit allait tomber et engloutir le monde de ses ombres d'inquiétudes latentes, tant que l'étranger demanda  l'hospitalité dans un village tapi aux lisières d'une forêt antique.
Pour prix du gîte et du couvert, il offrit de  raconter des contes et de raconter  des légendes.
Toute la nuit, sa voix telle une mélopée, décrivit des guerres d'honneur et des princesses enfuies, des fleurs recouvertes de sang, des rois éperdus d'amour ou d'une cruauté sans limites, des aurores flamboyants tels des incendies, des pays inconnus que berçaient les vagues d'un océan, par-delà la forêt et par-delà la plaine, presque par-delà le monde.
L'étranger chantait plus qu'il ne racontait. Sa phrase était longue et douce, rythmée, et son verbe, haut en couleurs, brillait de tous les feux sacrés de la poésie.
Les Yadwvingues étaient sous le charme et la fille du chef buvait jusqu'à l'ivresse les chants du jeune poète. Son âme avide s'envolait très loin, très loin par-delà la forêt et par-delà la plaine, presque par-delà le monde. Un souffle brûlant soulevait sa poitrine et ses grands yeux noirs refermés sur la nuit, levés sur  les cieux inconnus, laissaient quelquefois perler entre les longs cils, une larme attendrie.
Quand blanchit enfin la plaine, le poète se tut, remercia, baisa la main de la jeune fille, plongea longtemps ses yeux dans ses yeux,  et  reprit sur la plaine sa course vagabonde.
La jeune fille le vit qui s'évanouissait entre les herbes sauvages des champs et tomba à genou, par l'amour anéantie....Le jeune poète se retourna, lui aussi éperdu de désir, mais, plutôt que de tourner bride, il fouetta son cheval et disparut au galop.

À partir de ce jour nouveau, la jeune fille, faite femme, ne connut plus que les affres du mensonge. Elle disait des « je t'aime » à un mari qu'elle n'aimait point, elle n'avait de cesse que de lui dire toute sa tendresse et, disant tout cela, s'adressait au poète que les horizons incertains avaient si cruellement englouti. À la mort de son père, son mari devint le chef du village et elle exerça sur tous les villageois un pouvoir sans douceur ni concessions, comme si elle eût cherché à se venger d'un destin contraire et voulu par la laideur de la méchanteté, effacer la beauté d'un rêve fugitif.
Un matin cependant, que l'été montait doucement à l'assaut d'un grand ciel bleu, que tournoyait là-haut l'aigle pomarin, l'étranger réapparut et, prostré devant elle, lui chanta la fin de son errance et toute l'espérance de son amour.
La femme le dédaigna, le repoussa et ne  voulut point l'entendre.
Elle le fit par son mari chasser durement du village, tandis qu'en son cœur la flamme de l'amour et la flamme de l'orgueil, le désir de partir et le désir de régner, se livraient une bataille échevelée de souffrances.
Le poète congédié sembla, cette fois-ci, s'enfoncer dans la terre, là où elle embrasse la dernière ligne du ciel, et sa voix où roulaient des sanglots, chantait toute la mélancolie du monde.
La femme au village guetta en secret, chaque jour, les brumes de l'horizon, là-bas, au-delà des herbes folles de la plaine.
Tant qu'elle en mourut de chagrin, un chagrin muet, irrémédiablement condamné au silence par l'orgueil, et que son dernier souffle fut en même temps son dernier mensonge.
Et lorsqu'on voulut l'habiller de ses vêtements mortuaires, de grosses fleurs se répandirent  soudain sur le sol, ruisselant en cascades de la froideur de son corps.
Elles avaient des calices rouges, dressés comme des flammes et un mince filet d'or brodait leurs galbes gracieux.
Elles n'exhalaient aucun parfum mais levaient très haut leur superbes têtes, hautaines et vaniteuses.

Ce furent là les premières tulipes qu'il fut donné aux hommes de voir.

13:19 Publié dans Contes et légendes de Podlachie | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

"des pays inconnus que berçaient les vagues d'un océan, par-delà la forêt et par-delà la plaine, presque par-delà le monde"

J'aime bien cette phrase. J'aime bien l'amour décrit dans ce conte.

Écrit par : Feuilly | 08.04.2010

Très beau, merci beaucoup.

Écrit par : voyageuse | 08.04.2010

Waw ! C'est superbe !
Mais quelle andouille 1) de ne pas l'avoir suivi, 2) de l'avoir repoussé ensuite !

Enfin, ainsi vont les contes qui se veulent d'enseignement...;-)
En tout cas tu l'as drôlement bien réécrit. Merci de cette très belle page.
Et vive l'amour, seul digne avec la littérature, de notre attention.

Écrit par : Michèle | 08.04.2010

Comme les Yadwvingues, nous sommes sous le charme de ce conte. Son épaisseur et son chant demandent qu'on y revienne, encor et encor, hinc ad horam.

Écrit par : Michèle | 09.04.2010

Content que cela vous plaise car il a fallu que j'amplifie considérablement le conte initial tout en respectant "la trame".
Ce recueil est écrit de façon fort squelettique. Reprendre cette parole oubliée pour la faire plus proche.
Sinon, il est vrai que ces contes et légendes de Podlachie sont, comme dit Michèle, des contes d'enseignement. C'est sans doute là que réside leur universalité.
Les thèmes en sont éternels : l'amour, la mort, le pouvoir, la métamorphose.
J'ai retrouvé le merle blanc de Musset (et D'Andersen) dans un conte intitulé le Corbeau blanc...Comme si les paroles s'échangeaient entre gens ne s'étant jamais rencontrés.
Comme les peintures pariétales.
J'écrirai donc à mon tour sur le rocher tous les jeudis.
Amicalement

Écrit par : Bertrand | 09.04.2010

Les commentaires sont fermés.