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15.03.2010

La vie s'écoule

P1150016.JPGPar alternance régulière avec des pans de ciel bleu, la neige est tombée encore, en giboulées telles des colères. L'hiver continental résiste au grand mouvement des choses, refuse bêtement l'inéluctable basculement et lance ses dernières forces dans la bataille.
Jean Ferrat est mort.
C’est samedi qu’un  copain attristé, francophone et francophile, me l’a appris, sitôt  l’avoir lui-même su.
Je me suis dit que Ferrat
aurait été content de savoir que des Polonais l’avaient aimé...Ferrat compagnon de route des communistes, mais très critique vis à vis de Moscou et de l'écrasement de Prague de 1968.

Sobres hommages rendus à Ferrat,  ici, ici, et ici.
Moi, Ferrat, il m’évoque tout de suite un petit tourne-disque que ma mère avait eu la fantaisie d’acheter, une excentricité ramenée de la ville. Les voisins goguenards venaient voir le curieux instrument et tordaient leur gros nez, bouche bée vers le bas.
Ça ne les étonnait pourtant pas outre mesure qu’une femme en pantalons, avec du rouge aux lèvres, des talons hauts, qui fumait ostensiblement la cigarette, conduisait son aronde et prenait volontiers l’apéritif, se fût acheté une espèce d'inutilité pareille.
Un tourne disque et deux 45  tours. La Montagne et Le Gorille. Le début d’une longue amitié, pour le second titre.
Il m’évoque aussi l’écrivain Raymond Bozier, avec qui je fus un temps copain, pions que nous étions dans un lycée technique d’Angoulême. Il aimait beaucoup Ferrat, Bozier. Aragon plutôt, je crois.
Il m’évoque surtout des chansons poignantes, quelques vers puissants :

« Je twisterais les mots s’il fallait les twister »
et
«  Celle dont monsieur Thiers a dit qu’on la fusille ! »

La France, reconnaissante envers les bourreaux de son peuple et de ses enfants,  orne encore ses rues, ses places, ses avenues du nom infâme de cet ignoble sanguinaire versaillais.
C'est en dire assez long sur les orientations perverses de sa mémoire.
La France, lointaine, qui vient de repousser la bouillie que lui servent régulièrement ses politiques, lesquels n’en tireront aucune leçon, mais se convaincront qu’il leur faut être plus mauvais encore, plus fourbes, plus dissimulateurs, pour ramener au bercail les citoyens égarés dans un mutisme assourdissant.
Ce gros con de Le Pen réapparaît. Gageons que pour les fins analystes qui se goinfrent à l'auge du spectacle, ce sera la faute aux abstentionnistes plutôt qu’à la déliquescence de mentalités fourbues.

La campagne est blanche avec du soleil au-dessus. Trois mois maintenant de paysages blafards. Il manque du vert qui s'accrocherait aux talus. Et du jaune timide aussi, tremblant aux berges d'une rivière.
Géographiques est imprimé. Il prépare sa métamorphose, du manuscrit au livre posé sur la table d'un libraire.
Je vais relire mon récit paysan, achevé il y a quelques semaines. Ira t-il jusqu'au bout de sa métamorphose, celui-ci ?
C’est marrant : Il y a dans ce récit un domestique agricole né en 1930 et qui, face aux radotages d’un poilu de 14-18, se dit que lui, il n’était pas né à la première guerre, trop jeune à la deuxième et trop vieux à la troisième…Il en éprouve comme une sorte de solitude qui n'a rien à raconter de dramatique.
Mêmes réflexions, donc, que l’ami Solko.
L’écriture aurait-elle quelque chose d'une tacite complicité ?
Mais le temps s’écoule vers les horizons promis...

Salut l'artiste ! Maintenant, toi, tu sais...



14:54 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Vous faites là une belle synthèse et de ce qui passe et de ce qui ne se passe pas dans votre pays. C'est pas la saison des champignons, et pourtant on part trop nombreux à la cueillette. j'ai entendu ce matin à la radio dans l'autobus (oui, il y a RTL dans les bus...)un type de l'UMP déclarer qu'on allait "expliquer aux Français...." et un autre du PS dire que l'abstention était un vote sanction contre Sarko... Bref. La mélasse intellectuelle et la mauvaise foi de ces gens est atroce à entendre. Vivre avec des boules quies, et regarder la neige...
Il y a ce que Ferrat, désormais, sait; et puis il y a tout ce qu'il ne sait plus.
Bonne dernière gestation à Géographiques.

Écrit par : solko | 15.03.2010

Bertrand, je suis touchée comme toi de la disparition de Ferrat; je m'en défends mais ne peux retenir des larmes lorsque Ferrat fait renaitre mes grand-parents cevenols exilés à Paris en 1920 pour travailler ; lui seul avait vu ce que cette société préparait aux petites gens; j'aime ces engagés; il n'y en aura plus; j'aime croire qu'il n'a pas voulu voir le spectacle affligeant de ce weekend passé ici;je continuerai d'écouter les vieux vinyls et les CDs que j'ai engrangés peu à peu.

Allez, la reverdie ne va pas tarder, courage; moi, j'attends ton livre.
amitiés Anne-Marie

Écrit par : Anne-Marie Emery | 15.03.2010

Il y a dans votre position de "lointain" un point qui me touche, lorsque vous parlez de la France, parce qu'on sent, au-delà des désillusions, comme un certain bonheur à ne pas subir au quotidien la connerie ambiante des petites phrases (celles dont parle Solko par exemple), les querelles absurdes, les comptes d'apothicaire de la cuisine électorale (non, je ne suis pas allé voter. Non, je n'irai plus voter). Et voyez-vous, cher Bertrand, ma compagne vit actuellement aux Etats-Unis et quoiqu'elle ne soit émerveillée par ce qu'elle voit, cette distance, dit-elle, permet de mesurer à quel point le quotidien de l'information et le clapotis des petites vanités hexagonales sont des choses dont on se passe fort bien. Alors, oui, peut-être avez-vous raison : la Pologne, mais puurquoi pas le Mexique, le Canada,ou ailleurs, pour respirer un peu... (mais sans trop d'illusions malgré tout).
Bientôt le plaisir de votre livre et pour lui, nulle abstention possible...
Amicalement

Écrit par : nauher | 15.03.2010

@Solko : très juste, tout ce qu'il ne sait plus, surtout. Et s'agissant de la bouillie post électorale, bien sûr que chacun va essayer de tirer la couverture à soi. Ces gens-là n'ont ni honte ni honneur et de leur défaite savent - ou prétendent savoir - maquiller des victoires.. "Expliquer aux Français"...Ouais, c'est déjà un sacré aveu après les urnes. Moi, j'crois que les Français, comme pas mal d'Européens vis à vis de leurs politiques d'ailleurs, seraient bien inspirés de leur expliquer, à eux, où est la sortie. Avec un coup d'pied dans l'cul, ce serait encore plus grand.
@Anne-Marie : la reverdie, comme tu dis si joliment, revient toujours. Ferrat, c'est effectivement un des derniers dinosaures d'une certaine élégance de la chanson qui disparaît. Comme disait Brassens, la chanson n'est pas un art mineur. C'est un art trop souvent pratiqué par des gens mineurs.
Lui, ça va faire 30 ans qu'il dort, le moustachu...
@Nauher : l'éloignement crée comme un bruit de fond derrière ce que l'on sait déjà. Mais, comme au marin qui a parfois le mal de mer et voudrait toucher la terre, le pays, cette notion que je pensais métaphysique et dangereuse, manque toujours un peu. Ce qui ne manque pas, c'est la saloperie porcine de leurs discours, enjeux à la noix, faux arguments et autres falsifications de la vie.En Pologne, au moins, j'ai le confort de ne pas comprendre tout à fait la musique.
La réputation historique de la France, ici, c'est son intelligence, ses arts et son goût des libertés. Comme cette réputation me semble usurpée, du moins, obsolète !
Il me plaît de n'avoir pas à supporter le babillage venimeux des politiques de mon pays.
En même temps, nostalgie des racines, il me semble qu'il mérite bien mieux, le pays de Voltaire et de Montaigne.
Et j'en termine en revenant à Brassens répondant à un militaire balourd qui lui demandait s'il aimait sa patrie :
- Je n'aime pas du tout ma patrie. En revanche, j'aime beaucoup la France.

Écrit par : Bertrand | 16.03.2010

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