24.02.2010
Amer et dialectique constat
Le mensonge, surtout quand son fondement consiste à défendre et à justifier un vol, a cela de fabuleux qu’il se nourrit de lui-même, grandit, prend de l’élan, de la superbe, et n’a tantôt plus de limites.
Il s'affuble dès lors des habits de la vérité, la menteuse, ou le menteur, ayant fini par se persuader qu’elle ne profère que la vérité et rien que la vérité.
À ce stade-là, assez proche des états seconds de l'enfermement schizophrène, même le plus engagé des hommes, même le plus farouche défenseur de son bon droit et de sa dignité, n’a plus qu’une issue : la fuite, l’abandon de la lutte, la rémission, le dépôt des armes.
Car c’est en persistant qu’il perdra toute dignité et sera ainsi doublement humilié.
Il s’enfoncera dans la contradiction, dans la démesure et l’incohérence, il s'avilira dans la menace, il écumera d'une douloureuse colère, le mensonge étant beaucoup plus serein que la vérité, beaucoup plus sûr de son fait, beaucoup plus armé pour la guerre totale.
Il a en effet pour lui la non-réalité des faits sur lesquels il a grandi, il ne peut donc offrir de flanc tangible, cette non-réalité changeant en fonction des épisodes de la lutte alors que la vérité, elle, ne balbutie toujours et toujours que sur les mêmes bases, jusqu'à n'être plus bientôt qu'un murmure épuisé.
Elle est donc vite dépassée par la dialectique du cours des choses. Les pôles s’inversent soudain et le bon droit change de camp.
C’est la raison pour laquelle je suis un pauvre et le resterai toute ma vie.
Il est une lutte que je mène depuis des années et que j’ai dû abandonner, mes arguments figés, immuables, pulvérisés par les foudres d’une hydre aux multiples têtes.
Lecteur, lectrice, pardonne-moi, je te prie, le ton sibyllin de cet écrit.
Juste te dire, pour qu’au moins mes mésaventures aient valeur d’avertissement : on ne se bat pas à coups de vérités mais à coups de falsifications et le refus de brandir de telles armes en guise d'arguments offensifs ou défensifs ne doit conduire le sage qu’à l’abandon du combat ou, mieux encore, à ne pas engager de combat du tout.
Ainsi, beaucoup d’énergies, mentales et viscérales, seront économisées et le bonheur de vivre, vivre pauvre, démuni, vaincu par le réel, mais bonheur quand même, bonheur debout, n’en sera pas moins intouchable et brillant.
Image : Philip Seelen
11:25 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Oh Bertrand, comment dire en une phrase la plus simple possible, combien ce billet est poignant de beauté et en effet de vérité? et je relis les deux dernières phrases comme pour les apprendre par coeur.
Écrit par : Sophie | 25.02.2010
Merci, Sophie.
J'eusse aimé cependant que ce texte n'ait jamais eu de raison d'être.
Amicalement
Écrit par : Bertrand | 26.02.2010
Evidemment, en lisant cette page, on hésite entre l'envie de la réfutation et la reconnaissance de sa vérité. Comment faire ? Mais n'est-ce pas là l'un des ressorts subtils de l'écriture, quand elle est pleine : la confrontation à ce qu'on voudrait parfois éviter.
Écrit par : nauher | 26.02.2010
Tout à fait, Nauher...
Affronter avec l'écriture et, de cet affrontement, surgirait un dépassement et une autre écriture.
Une écriture qui n'affronterait pas, qui ne se frotterait pas à l'âpreté du monde, serait pur exercice d'écriture.
C'est du moins comme cela que je le conçois, quitte à faire froncer des sourcils ou effaroucher quelques pudeurs.
Mais qu'est-ce que la pudeur en écriture sinon un prisme posé entre l'écrivant et sa page? Un non-message.
Bien amicalement à vous.
Écrit par : Bertrand | 26.02.2010
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