11.02.2010
Chienne de vie
Quelqu'un qui n'aura jamais de nom, et qui n'a sans doute pas d'âme, a livré son chien à l'anonymat sauvage de la forêt, dans la pénombre glacée d'un crépuscule.
La pratique est courante. Dans les villages, se traînent souvent des chiens errants, livrés au vagabondage, mendiant pitance et chaleur. Ils vadrouillent d'une cour de ferme à l'autre, ils arpentent inlassablement la rue unique, le regard torve, les yeux malades, la queue basse, le museau obstinément rivé à la neige.
Je les entends parfois qui se battent autour d'un os arraché au hasard de la nuit.
Ça n'est point que je veuille vous attendrir avec une rubrique larmoyante sur les chats et les chiens écrasés. Non. Moi, je n'aime pas trop les chiens. Quand ils ne sont pas bassement serviles, ils sont faits pour mordre le monde, pour défendre les prétentieux et les paranoïaques de la propriété.
À moins qu'ils ne soient carrément barbouzes dans la police.
Alors, je n'ai jamais eu de chien. Il paraît que c'est le meilleur ami de l'homme. Justement. Quand je vois comment les hommes traitent leurs amis, autant les laisser à leur condition de chiens, les chiens.
Je n'aime pas trop les chats non plus, quoique, eux, on m'ait souvent imposé leur présence. Je n'aime pas les allures chafouines et patelines de ces créatures-là. Ce sont là bêtes aux figures hautement politiques, n'en déplaise et révérence parler, à Baudelaire, Brassens et tant d'autres poètes chattophiles.
Bref, dans la neige, le froid, le vent et le gel, il y a un petit chien errant qui, du plus loin qu'il m'aperçoive désormais, accourt pour me rejoindre. Au début, il rampait. Ventre sur la glace, il se traînait lamentablement jusqu'à mes pieds.
Rien ne peut plus me révulser que l'abjecte soumission. Je maugréais...Je lui faisais signe de passer son triste chemin.
Un jour pourtant, j'ai tendu la main...Il s'est d'abord effarouché. Il a fui. Une main qui se tendait, apparemment, c'était une main qui voulait frapper...Puis il est revenu, il s'est apprivoisé, il a rampé un peu plus encore et je lui ai caressé l'échine. C'était sans doute une erreur. Le petit clochard s'est pris d'amitié pour moi. Il ne décolle pratiquement plus de mes talons.
Hier, tout l'après-midi, alors que je sciais et fendais du bois, il est resté là, à me regarder, à bayer aux corneilles, l'oeil attendri...Un reste de soupe, un os...Le vagabond a élu domicile entre mes pattes et jeté son dévolu sur ma gentillesse.
J'essaie bien de ne pas sombrer dans l'anthropomorphisme, mais je me dis quand même que cette bête-là a bien de la constance à vouloir encore se faire aimer des hommes. En quoi, physiquement, différé-je de ses bourreaux ?
Je me demande où il dort...
Au printemps, la clémence des cieux redescendue sur terre, peut-être disparaîtra t-il, vers un autre village, vers une autre forêt, vers une autre tentative pour être aimé. Sa quête du Graal à lui.
Je m'attache à sa mélancolique présence.
Sans doute parce qu'il n'est pas un vrai chien. Il n'est rien, pas même une ombre. Il vient du vent.
Et il est aussi une allégorie poilue de toute la lâcheté humaine.
Je lui tends souvent ma main.
08:52 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Il sonne juste, très juste ce billet.
Il se peut aussi que là où un homme n'exprimerait que de l'abjecte soumission,le petit chien n'exprime, lui, qu'un abject besoin. Ce n'est pas tout à fait la même chose. Alceste, pour cette simple nuance, préférerait sans doute le chien à l'homme.
Bel emploi de l'adverbe "souvent" en fin de texte, mon cher Bertrand.
Écrit par : solko | 10.02.2010
Ce billet est vraiment magnifique.(est-ce que c'est lui sur la photo?)
Écrit par : Sophie | 10.02.2010
VOTRE GRAND COEUR ME DONNE LES PREMIERS MOTS POUR CETTE JOURNEE QUI HESITE ENCORE A SE REVEILLER;COMME MOI...ILS M'ONT TOUCHEE EN PLEIN COEUR !!!CE CHIEN-LA ETAIT SI BIEN AUPRES DE VOUS...LA NEIGE EST REVENUE;ELLE EST LA...C'EST JOLI...
MELANCOLIE....
Écrit par : cecile brun | 11.02.2010
Il me plaît que les mots autour de ce petit clochard sans étoile vous plaisent.
Il me semble lui avoir donné plus qu'un os à ronger en lui ouvrant les portes de mon Exil.
Comme un peu, un tout petit peu de dignité canine à son existence, encore faut-il que cela est un sens.
Oui, c'est bien lui, elle plus précisément, là, sur la photo. Elle date exactement du 1er janvier. On se proposait une balade dans la neige et la forêt et il était là, qui nous suivait pas à pas...
Il est toujours là, d'ailleurs. Quand j'arrive au village, il surgit..Je ne sais jamais d'où...
Amicalement à vous
Écrit par : Bertrand | 11.02.2010
Bayer aux corneilles...
Bon emploi du verbe bayer (et non bailler). Et on sait que les corneilles chez toi sont les grands corbeaux.
Servile peut-être ce chien, affamé et désespéré surtout. Il me semble aussi exilé que toi, si ce n’est qu’il est dans son propre pays. Continue à lui tendre la main et tu verras se dessiner derrière sa servilité une reconnaissance éternelle que tu ne trouveras jamais chez les hommes.
Écrit par : Feuilly | 11.02.2010
Je déboule de chez Sophie, je vous lis.
On dirait qu'il vous a choisi, ce petit ami improvisé, cette invention humaine, dépendant et aimant à sa façon de chien. Portrait sensible et en creux de l'humain que vous êtes.
Écrit par : la Mère Castor | 11.02.2010
Il se trouve que je viens de perdre il y a quelques mois une chienne qui ressemble beaucoup à celle de la photo!!!J'ai eu deux chiens jusqu'ici, le premier il y a longtemps ,le second qui nous a accompagnés jusqu'à peu et que nous avons soigné pendant quelques mois en reconnaissance pour tout ce qu'il nous a donné de gaieté,d'amitié voire de consolation .Il semblait que parfois il "parlait" à travers des modulations qui n'étaient pas pur aboiement mais comme un effort pour "dire" . Je ne pense pas délirer car d'autres autour de moi ont fait la même remarque.Bien sûr je connais le reproche de servilité... ou de dépendance.Sans doute y a -t-il de cela et je crois avoir lu quelque part que l'amitié entre homme et chien viendrait d'un "pacte" très ancien entre ces deux créatures "faibles" qui avaient besoin l'une de l'autre. Mais le don et la reconnaissance seraient plutôt du côté de l'animal,c'est lui qui est abandonné quand il "faut" partir en vacances ou bien quand il n'amuse plus les enfants.
C'est grâce à mon chien ,peut-être, que ne suis pas passé indifférent à côté d'un très beau livre sur les rapports entre l'homme et l'animal intitulé Le Versant animal de Jean-Christophe Bailly.
Ce chien sur la photo vous a peut-être choisi!
Écrit par : Delirium | 11.02.2010
Bonjour Bertrand,
De même j'arrive de chez Sophie et je ne regrette pas cette lecture. Ce que dit Solko, sur l'adverbe souvent à la fin de votre texte, cela me frappe - mais l'aurais-je en moi-même tiré si bien au clair?
Vous faites là un beau portrait, pas seulement du chien. Merci.
Écrit par : tanguy | 11.02.2010
Votre lecture à tous et toutes, me fait énormément plaisir.
Vraiment.
Je vous souhaite plein de choses, parmi les plus agréables à vivre
Amitié
Écrit par : Bertrand | 12.02.2010
En échos:
Les chiens se lèchent le cul
se roulent dans des charognes
et sentent la sardine de la gueule
et pourtant il faut bien se rendre à l'évidence
et constater qu'en matière de crasse
nous restons loin devant
...
extrait de FUYARD DEBOUT, éditions gros textes, 2010
Les chiens errants sont de ma famille,
merci d'avoir accueilli un cousin Bertrand.
amitié
t.
Écrit par : thoams | 16.02.2010
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