17.09.2011
Passage supprimé
Les gens d’hier, surtout ceux des champs et des bois, ne vivaient que ce qu’ils vivaient.
Ils n’existaient pas encore comme décalcomanies. On ne les assommait pas chaque soir avec les tumultes des antipodes mis à feu et à sang, on ne leur disait pas de se bien couvrir le bout du nez parce qu’il allait faire froid, de se vacciner vite au risque d’être bientôt malades, sinon pour des fléaux d’antan comme tuberculose et variole, de penser comme ci plutôt que comme ça, de faire de leur argent ça plutôt que ça, de prendre bien garde à ce qu’il y avait dans leur assiette parce qu’un récent congrès de scientifiques venaient de découvrir que…
On ne leur disait pas non plus que la terre sur laquelle ils se promenaient était malade, avait la fièvre et serait tantôt inhabitable, la proie de tempêtes apocalyptiques, de cataclysmes et de naufrages titanesques s’ils ne prenaient garde à ce qu’ils faisaient chaque jour de leur poubelle, de leur auto, de leurs cartons, de leur chauffage, de leur papiers de bonbons. On ne leur disait pas que leurs enfants risquaient de mourir en vivant leurs amours ou alors qu’ils seraient peut-être des clochards, des trimardeurs, parce qu’on n’avait plus besoin d’eux pour construire, produire et imaginer un avenir bouché comme un ciel d’ouragan. On ne dressait pas chaque année la liste macabre de milliers de gens écrasés sous leur automobile, chaque commune, chaque village, chaque lieu-dit, chaque maison n’avait pas encore à déplorer un que la route avait cueilli à la fleur de l’âge.
On ne leur disait pas grand chose, aux gens d’hier. Que des broutilles. L’organisation méthodique de la peur et de l’angoisse n’était pas encore en place. Tout au plus, s’inquiétait-on vaguement, depuis que les hommes parlaient de monter voir la lune, des soucoupes volantes qui sillonneraient le firmament et d’êtres hideux débarquant des espaces sidéraux. Des inquiétudes à la Jules Verne.
Leur vie était encore sous leurs pieds, aux gens d’hier, à portée de mains, directement palpable. Nous ne disons pas qu’elle était plus belle ; nous laissons bien volontiers ce genre d’appréciation à la morale et à la sociologie. Nous disons qu’il la voyait de leurs propres yeux, cette vie.
Ces gens d’hier voyageaient donc seuls, comme les marins avant la boussole. Au flair, aux caprices des étoiles, au gré des vents, à la force du vouloir. Face aux tempêtes, ils serraient les dents ; avec un bon vent arrière, ils tâchaient d’en profiter pleinement.
Tout ça, bien moins longtemps qu’aujourd’hui, c’est vrai. Parvenu à quatre vingt ans, on n’était plus un vieillard anonyme dans une foule anonyme de vieillards, on était un fossile, une exception, un monument, presque un contre-nature. Car on ne traînait pas son semblant de vie jusqu’à des âges sans nom. On mouchait la chandelle beaucoup plus tôt et bien plus fatigué. Bien sûr… Mais le chemin parcouru n’avait pas chaque jour été habité par la mort, on ne l’avait pas soupçonnée d’être planquée en embuscade derrière chaque buisson, derrière chaque touffe suspecte de la végétation, derrière chaque virage à prendre.
On ne craignait le tranchant de la faux que la saison venue de la moisson.
Plus tard viendraient les temps où, pour asservir le monde, on brandirait la Camarde dans tous les instants de la vie, les serfs devant désormais considérer que respirer encore constituait le bonheur.
Passage supprimé d'un récit achevé, actuellement en cours de lecture
Image : Philip Seelen
07:45 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
c'est ça...
Écrit par : solko | 13.01.2010
Merci à vous.
Écrit par : Pascal Adam | 14.01.2010
Beau, très beau...
Écrit par : nauher | 14.01.2010
Ah oui merci, c'est cela Bertrand et bellement dit. Mais on peut encore vivre dans ce monde-là, moyennant quelques efforts... Vous le savez, je crois.
Écrit par : Tanguy | 14.01.2010
Votre écrit est beau, un certain oubli de soi aussi et qui nous manque souvent maintenant. Merci.
Écrit par : Marie-Hélène | 15.01.2010
Cet hier ne me semble pas si loin.
La peur systématisée-le principe de précaution dans la Constitution est pour moi une connerie sans nom- vient de cette décennie des années 2000.
Entre les gens d'hier et ceux d'aujourd'hui, il y a eu les gens qui rêvaient l'avenir : ils ont été dépossédés, trompés. Ne pas les oublier ni les enterrer trop vite ( ce sont eux que m'évoque la photo de votre profil)
Écrit par : Rosa | 17.01.2010
Les gens d'hier sont encore là et capables d'expliquer patiemment les absurdités des années dernières,le formidable gâchis des emballages, des jouets pour gosses, des trucs qu'il "faut" changer tous les ans, des rayons insensés de laitages ou de bouffe pour animaux et surtout, et là je rejoins le groupe, la paranoïa qui s'installe, on nous oblige à fermer l'impasse par un couteux portail éléctrique à cause de la terreur des mères pour leurs bambins (ils ont tous des jardins!)
amitiés Anne-Marie
Écrit par : Emery Anne-Marie | 17.09.2011
Les commentaires sont fermés.