27.12.2011
Quand ?
C’est un poncif, une vraie lapalissade : nous écrivons pour conjurer des tourments. Ceux qui nous hantent du grand sommeil qui nous attend là-bas, au bout de la piste, où la plaine courbe l’échine, capitule et se laisse garrotter par l’horizon.
C'est là-bas qu'on s'en va. D'aucuns disent qu'il n'y a rien où on s'en va. D'autres disent que si, qu'il y a comme une blancheur qu'on appelle, faute de mieux, l'éternité. D'aucuns et d'autres disent des conneries. Parce qu'ils ne savent rien. Comme moi, comme toi, comme nous, comme vous. Et quand on dit des choses là où on ne sait rien, forcément, on dit des conneries, des bouts d'idéologie, des queues de convictions toutes faites, des trucs qui font intelligent, des récitations qu'on croit avoir soi-même composées.
Nous sommes comme les renards de la forêt de Benon. Nous pissons notre verbe sur tout ce que nous trouvons, attestant ainsi que nous sommes passés par là et que nous y étions chez nous.
Bon, d’accord, me diras-tu, ça je le savais déjà, mais le renard, lui, qui lève la patte sur les fûts forestiers, sait-il qu’il va mourir ?
S’il faut en croire Malraux, qui a fait par ailleurs, sinon écrit, pas mal d'âneries, non, le renard ne sait pas. Parce que l’homme est la seule créature qui sache qu'elle est mortelle.
C’est beau. Comme toute chose invérifiable et balancée gratuitement.
Mais le rat ?
Je me suis laissé dire que suspectant un relief empoisonné, les rats envoient d’abord le vieillard de la bande. Pour qu’il goûte. Un certain temps d’observation s’étant écoulé, si le vénérable patriarche n’est pris d’aucun vomissement, saignement du museau ou autres convulsions préfigurant la mort, alors le reste de la horde se met en appétit.
Il paraîtrait aussi que pour traverser des égouts, ce peuple, grand pontier s’il en est, construit une passerelle grouillante, les plus vieux au fond, servant de bases, puis, ainsi de suite, par ordre décroissant, les moins jeunes, les jeunes et les enfants invités enfin à passer sur l’autre rive, sur le dos des aînés. Si tout le monde se dépêche et s’il n’y a pas trop de cohue, même les premiers, au fond, les ancêtres, s’en sortent. Sinon.
Ce n’est jamais très rigolo d’être vieux. Mais ça le semble encore moins chez les rats.
Cet instinct de conservation de l’espèce est bien lié, sinon à une conscience, du moins à un certain pressentiment de la mort.
Non ? Bon.
Alors, laissons-là les rats et revenons-en aux hommes.
Claudel, pourquoi écrivait-il donc ? Il n’avait pas peur du trépas, celui-là. Il était même persuadé que c’était la porte ouverte sur la béatitude accomplie. Ou alors il faisait semblant, le fourbe. Comme Mauriac et tant d’autres, plus illustres et savants écrivains, révérence parler.
Si mon poncif de départ est juste, c’est que les hommes feignent de croire en Dieu. S’il est faux, alors, ils n’ont pas besoin d’écriture, ni même de tout autre forme d’art.
Je sens que tu m’en veux d’être aussi réducteur. Peut-être même me trouves-tu sot.
Pourtant, moi qui ne suis ni un rat, enfin je ne crois pas, ni Claudel, ça j’en suis sûr, si je n’étais pas un peureux, un peureux amoureux transi de cette belle terre et des hommes, je n’essaierais pas d’écrire, je ne composerais pas sur ma guitare, je n’arrangerais pas des chansonnettes.
Je m’en foutrais de pisser ma mélancolie sur le tronc des chênes. Enfin, peut-être que je ferais tout ça, mais je ne chercherais pas d’éditeur, je ne ferais pas de scène, ni même ce petit blog.
J’ai laissé un frère, en France. Il est aussi mon ami. Il fait des meubles, lui. Il joue à faire de beaux meubles, avec du vrai bois qui sent la forêt et les chemins fangeux. Quand ils seront vieux, ses meubles, ils ressembleront au buffet de Rimbaud.
Il ne cherche pas de vitrine où mettre ses poèmes. Ils sont pourtant fort élégants. Il doit savoir qu’ils vivront longtemps. Je crois qu’il a peur aussi.
Si je dis ça, c’est que j’ai regardé par la fenêtre, vois-tu. J'ai trouvé la forêt et la neige et le silence et le ciel au-dessus qui faisait le mélancolique, très beaux.
Je n’ai vraiment pas envie d’être privé de tout ça, un sale jour. Ce ne serait pas juste.
Je n’ai rien fait pour mériter de ne plus voir, de ne plus sentir, de ne plus aimer, de ne plus espérer, même ne sachant pas ce que j’espère.
L’exilé a toujours peur de crever trop loin de sa tombe.
Ne dis pas que je dis des bêtises, je te prie. Ou alors admets, à ce stade de notre page, que tu aimes lire des bêtises. Toi aussi, tu as peur, peut-être ?
Les hommes sont des prétentieux, tu sais. Ils ne brassent pas assez d’évidences. Ou alors pas les bonnes.
Si j’étais un rat, je serais encore plus rebelle.
Je déserterais sans vergogne tous les diktats de l’ordre social.
C’est que je suis un peu vieux, sans doute.
09:23 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
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