29.09.2010
Une situation singulière
Comme dans tous les pays de l’ex-bloc de l'Est, le passage à ce qu’on a appellé gentiment « l’économie de marché », pour ne pas avoir à dire « le sook du libéralisme sauvage », ne s’est pas fait ici sans douleur.
Je connais un village dont le boulanger avait fait faillitte en une seule nuit au cours de laquelle les taux d’intérêts bancaires avaient été majorés de plus de 1000 pour cent ! Avant de faire sa valise au petit matin, le boulanger dépité avait inscrit en grosses lettres vindicatives sur le mur de son établissement « POMNIK DEMOKRACJI !", monument de la démocratie !
Vingt ans après, le sarcasme est intact et depuis la petite route qui serpente à travers la forêt, la colère de l’artisan est encore très lisibe.
Faut décrypter. Cette inscription est une éloquence de l’histoire.
On ne fait pas d’omelette sans casser les oeufs, n’est-il pas ?
Je vous dis tout ça parce que, des fois, ce passage à la vente forcée ne me semble pas partout complètement acquis dans les têtes et c'est ainsi que je m'étais retrouvé, il y a un an ou deux, dans une situation assez cocasse.
Ma maison est tout en bois. Il me fallait la peindre avant les rigueurs de l’hiver. Le menuisier avait été catégorique et il avait établi une ordonnance avec la quantité exacte et le nom de la peinture à utiliser. La meilleure. La plus chère aussi, diablement chère même, mais en contrepartie qui protège de tout : de la neige, des terribles gels, de la pluie, du vent, du soleil, des champignons, des bestioles xylophages dont toute la forêt alentour est infestée.
Je m'étais donc rendu, fort de l’avis d’un spécialiste, dans un grand magasin de peinture et j’avais montré fièrement ce que je voulais.
Le vendeur responsable, homme affable et grisonnant, s’était moqué. Pourquoi celle-là ? C’est la plus chère !
Oui, mais c’est la meilleure !
Oh vous, vous regardez trop la télévision ! Vous vous faites avoir par la télévision !
J’ai pas la télévision.
Alors, des gens qui l'ont vous ont abusé. Parce que cette peinture, vous savez pourquoi elle a du succès ?
Ma foi non. Peut-être parce qu'elle est bonne...
Ah, ah, ah... Bonne ! Vous pensez ! C'est parce que ses fabricants ont un budget publicitaire énorme et que tous les soirs ils assomment les benêts avec leurs boniments ! Faut pas croire, c’est de la vraie merde, cette marque !
Je suis pantois. Je remballe mon ordonnance...
Je désigne alors une autre peinture, moins chère. Ça vaut pas grand chose, ça non plus, affirme le sympathique grisonnant.
Bon, l’autre, alors, là, plus haut...Non, non, c’est du sous-produit, un mélange, ça vaut rien. Dans un an à peine, il vous faudrait tout refaire...
Je suis de plus en plus déconfit...
Bon, alors pas de peinture mais un produit spécial, là, que je vois avec un chalet de montagne bien joli sur l’étiquette. C’est bon ça ?
Alors ça, cher monsieur, vendre ça, c’est vraiment se moquer du monde ! Non, autant badigeonner votre bicoque avec de l’eau de source !
Je suis atterré.
Il n’y a plus qu’une seule marque. Je montre timidement.
Surtout pas ! C’est bourré de poisons, cette saloperie ! Sûr que vous feriez crever les parasites, mais vous en même temps.
Alors ?
Alors rien du tout.
Le vendeur avait fait son devoir. Il avait dit ce qu'il avait à dire. Déjà il m'avait quitté et se précipitait au secours d'un autre acheteur qui, lui, voulait du vernis pour ses clôtures.
J'avais observé le manège d'assez loin et constaté que tout ce que voulait acheter ce nouveau chaland en fait de vernis, ça valait pas une queue de cerise selon le petit grisonnant.
J'étais donc sorti bredouille et décontenancé.
Inquiet aussi pour l’avenir de ma maison.
Et je m'étais dit que c'était là un gars honnête, ou parano, ou je ne sais quoi, mais en tout cas un gars qui n’avait pas bien compris que le monde était devenu un vaste tiroir-caisse.
Un monde où il n'y aurait bientôt plus de place pour lui.
14:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Alors nous, on veut des nouvelles de la maison...elle est toute mignonne sur la photo de nuit où on dirait un conte de fée, une maison de poupées; as-tu trouvé comment on dit Bondex en polonais?? Sinon,tu pourras toujours en acheter en Charente; aïe, c'est un peu lourd dans l'avion; j'ai un peu la même réaction que le vendeur quand un produit que j'utilise depuis 30 ans se retrouve en promotion sur les écrans; je sais alors ou qu'il va augmenter ou disparaitre; dans ces cas-là, le bouche à oreilles n'est pas mal pour se faire une idée. Bon bricolage A.M
Écrit par : A.M Emery | 29.09.2010
Je te lis trop pour ne pas reconnaître... Par contre, je ne me rappelle ni ce titre ni cet incipit. Juste l'histoire de la peinture pour la maison... et la présence évidente d'une traductrice :)
Bien à toi.
Écrit par : Michèle | 29.09.2010
En ces temps d'ère glaciaire, ce Megalania Prisca, photographié dans nos prés (carrés et chacun le sien) ?
Écrit par : Michèle | 30.09.2010
@Anne-Marie : Bien sûr que nous avons fini par trouver notre peinture et que nous en avons badigeonné la maison....D'autant que l'anecdote date de 2008.
@Michèle : C'est donc à cette date que j'avais mis ce texte en ligne. Il était écrit à l'imparfait et je l'ai mis ici au plus-que-parfait, ce temps qu'on dirait imperfectible, qui met de la distance. Le temps qui creuse le temps.
La bestiole, là, c'est un dinosaure du Jurassique, sans doute, dans un parc un peu kitsch, au centre de la Pologne. I m'fait marrer tellement il a l'air c....
Merci à vous deux
Amitiés
Écrit par : Bertrand | 30.09.2010
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