18.09.2007
Si vis pacem, para bellum
Depuis quelque quarante années, on meugle à tout va, c'est de bon ton car on est pas des boeufs, ah, l'Europe, l'Europe, une idée géniale...Plus jamais de bruits de bottes et de canons sur le vieux continent...Ah ! Europe ! Europe !
Longtemps, j'ai moi-même meuglé de bonheur : Ah, Europe, Europe !
Assez !
Où nous emmène cette grande idèe ?
Voila qu'une fondation polonaise,"un concert pour Noel", fondation qui fait des choses bien, méritoires, honnie de l'intégrisme catholique qui, comme chacun le sait, s'octroie le monopole de la bonté, voila donc que cette fondation se voit refuser une subvention par Bruxelles...
Bof, tout le monde s'en fout, à vrai dire...MAIS il y a un MAIS :
Dans le même temps, un pilier de Radio Marya reçoit une somme considérable d'argent frais de cette Europe éclairée et donneuse de leçons pour subventionner...une école !
Je vous laisse deviner quels élèves sortiront promus d'un tel cloaque. Au programme : Antisémitisme, haine raciale, catholicisme inquisiteur et...farouche anti-européanisme.
Une Europe comme ça, moi, ça me donne envie de tirer la chasse d'eau !
15:40 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : litterature | Facebook | Bertrand REDONNET
06.09.2007
Petites anecdotes de concerts
Le public d’un interprète de Brassens est toujours un copain et un complice. Un clin d’œil. On est là dans un cercle d’amis. On a été convoqués, par des affiches ou des entrefilets dans les journaux, voire par les murmures du bouche à oreilles, à venir célébrer un autre ami commun, disparu.
Chacun vient donc avec son lot de souvenirs, avec son mot à dire, comment, quand, pourquoi, il a découvert et écouté Brassens. Alors, autour d’un verre c’est toujours un plaisir, le projecteur éteint, les cahiers de partitions rangés, les divers petits accessoires pliés et les guitares soigneusement remisées dans leur housse, d’échanger quelques mots avec ces gens venus vous applaudir, vous bien sûr, mais surtout Brassens.
Jouer Brassens sur scène commande que l’on soit d’abord modeste. Ne jamais perdre de vue la silhouette du Poète qui vous a prêté ses mots et que ce sont ces mots-là que le public est venu entendre.
Alors évidemment, il y a quelques anecdotes. Quelques-unes d’entre elles, vécues avec Dominique ou bien seul, parfois cruelles, le plus souvent amusantes, me sont revenues en mémoire à l’heure où je me préparais, ici en Pologne, à donner cinq concerts dans cinq villes différentes, devant un autre public, francophone celui-là et pour qui la verve de Brassens est inscrite dans une langue apprise et non lapée au berceau.
Une expérience plus difficile. Mais passionnante.
Déçu mais content
Nous avions pris, avec Dominique, le parti d’éviter les grands standards qui, en dépit de leur valeur intrinsèque que nous ne contestons pas, nous semblaient ennuyeux à jouer. Un peu trop rabâchés pour tout dire. Ainsi la Brave margot, l’Auvergnat, les Bancs publics, Marinette et autres Copains d’abord n’étaient-ils jamais inscrits à notre répertoire. Nous recherchions l’interprétation de textes moins connus.
Cela amenait parfois des déceptions.
Un soir, donc, un brave monsieur, bien mis et d’un âge certain, s‘est approché de moi alors que j’étais encore en train de plier mes fils :
- Vous ne jouez pas l’Auvergnat ? J’adore l’Auvergnat.
- Non, nous ne la jouons pas. Mais c’est une belle chanson, c’est vrai.
- Et Brave Margot…Ah, Brave Margot, j’aurais bien voulu l’entendre, Brave Margot…
- C’est sûr, elle est bien.
- Franchement, je m’attendais aussi à entendre les Bancs publics. C’est une chanson qui a fait scandale à l’époque, vous savez. Du grand Brassens. J’avais vingt ans, alors, vous pensez si c‘est une chanson qui nous a marqués, nous les jeunes.
- C’est vrai, mais voyez-vous, on peut pas tout jouer en une soirée. Il y en a cent quatre vingt deux.
- Cent quatre vingt deux ! Ah, fant’putain, en effet ! Mais quand même, les plus connues, c’est beau et ça fait plaisir. Et les Copains d’abord ? Vous jouez pas les copains d’abord non plus ?
J’étais agacé. Faut dire que je suis toujours agacé quand il faut plier des fils. Dominique, lui, il est plus calme. Il lambine, il prend son temps. On dirait qu’i fait son lit. Il enroule, il range bien ses cahiers dans un sac, sac que j’avais baptisé « western » parce que c’était un joli vieux sac de cuir jaune un peu râpé, avec des lanières partout. Souvent aussi il volait à mon secours pour rabattre mon pupitre métallique dont j’étais en train de torturer les organes dans tous les sens sans trouver la solution du labyrinthe.
- A ce que je vois, vous avez dû vous faire chier pendant une heure et demie, ai-je dit un peu brusquement au Monsieur.
- Ah, non alors ! Pas du tout. C’était magnifique…. Vraiment. Je croyais connaître Brassens, mais là, je suis surpris.
Puis, après une petite pause :
- Vous voulez boire un coup ?
Et pendant que nous prenions notre bière, les coudes serrés dans la cohue, il me dit, pensif, un peu mélancolique même :
- Ouais. J’croyais mieux connaître. J’crois que je vais m’acheter des disques.
J’ai su alors que le spectacle lui avait bien plu.
Scandale sur un titre
C’était dans une auberge perdue au milieu des prairies et des marais et c’était l’hiver. En février je crois. Nous faisions un week-end performance : Vendredi soir, samedi soir et dimanche après-midi. Nous en sortions fourbus.
Comme j’ai aimé ces concerts. ! Nous sommes venus deux années de suite. Pendant que les gens arrivaient, s’installaient en discutant dans la petite salle, Dominique et moi allions prendre l’air, parlions de choses et d’autres et les brouillards gelés alentour s’accrochaient aux prairies. Dominique rêvassait le nez dans des étoiles transies et les mains bien au chaud dans ses poches. Dominique pose toujours un regard interrogateur, métaphysique sur ces intelligences lumineuses, là-haut qui le fascinent.
Puis nous entrions. Les vitres ruisselaient de buée. Nous serrions des mains et nous nous préparions à jouer. On nous montrait du doigt ou du menton.
Ce soir-là, un petit gars un peu bedonnant, la mine poupine et le cheveu bien cranté, est venu nous saluer et nous présenter sa jolie petite femme. Il devait l’aimer, sa femme, parce que tout de suite il s’est mis à faire le fanfaron avec « les artistes ».
- Ah, quel plaisir ! On va entendre du Brassens ! J’les connais toutes. Toutes ! Ca fait quarante ans que j’l’écoute, moi, le gars Brassens …
Sa petite femme acquiesçait et buvait des yeux son petit bonhomme de mari au ventre discrètement replet. Ils étaient vraiment charmants.
Dominique est alors subitement monté sur la scène, il a récupéré sa grosse bible, les œuvres complètes, il a ouvert l’ouvrage vers la fin puis, étalant le livre sous le nez du couple médusé, à la page « S’faire enculer » :
- Et celle-là, vous la connaissez ?
La petite dame a rougi jusqu’aux deux oreilles, qu’elle avait d’ailleurs joliment duveteuses, mais elle a ri en même temps. D’un petit rire polisson, à peine étouffé.
Le petit ventre a froncé les sourcils, il a fait semblant de regarder la partition sans s’attacher au titre et, grand seigneur :
- Non, celle-là, j’la connais pas.
Moi, l’insolence m’avait arraché des larmes de rire.
Pas méchant pour un sou, Dominique. Un taquin.
Je l’ai vu après, au cours de la soirée, discuter bien amicalement avec ce couple sympathique, en prenant un pot.
Des gammes avant toute chose
Après une première partie, nous nous étions installés avec le public pour prendre un pot. Le hasard avait fait que nous nous étions assis à côté d’un tout petit bonhomme, tout sec et tout nerveux.
Il portait de grosses lunettes de myope, il avait la bouche un peu taillée en biseau, une mèche rebelle balayait son front et il était un peu voûté. Il ressemblait à Jean Paul Sartre dans sa période maoïste.
Forcément, il en vint à nous interpeller. Dominique était en pleine forme mais moi, j’avais la voix qui se cassait, éraillée. Nous en étions à la huitième heure de concert en deux jours, quand même.
Sartre nous enseigna alors qu’il fallait soigner, entretenir, travailler, échauffer, entraîner la voix. Il était lui-même chanteur dans un groupe, à La Rochelle.
Tous les matins, dans sa salle de bain et devant la glace, il faisait des gammes, lui. Oui, Messieurs !
Et il nous montra.
Comme font les bébés quand ils remuent les lèvres très vite et qu’ils y passent leur main et qu’ils font «brrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr.»
Mais là, c’était un bébé chanteur. Le « brrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr » s’articulait plaisamment, se modulait habilement pour donner la gamme complète, du Do jusqu’à l’octave. Les lèvres remuaient et s’agitaient dans un tremblement frénétique.
C’était gentiment grotesque et absolument désopilant. Tellement que le bonhomme n’arrêtait plus de nous montrer et répétait à l’envi ses singeries de mélomane. Les gens regardaient ce vieux fou nous donner la leçon.
Sartre en vint à demander sa récompense. Pouvait-il monter sur scène avec nous et chanter une chanson ? Il connaissait par cœur « le Mauvais sujet repenti ».
A la reprise, il chanta donc, d’une petite voix fluette, juste cependant : « Elle avait la taille faite au tour, les hanches pleines… » Dominique l’accompagnait.
Resté en bas, j’étais malade de rire.
Sartre cabotinait à son aise, se dandinait sur ses petits pieds vernis et se déhanchait comme une demoiselle.
Puis il voulut en chanter une autre, puis une autre encore. Nous dûmes finalement faire les gros yeux pour qu’il consente à reprendre sa place dans le public…
Sartre, vous dis-je !
Le bidon d’huile en moins.
Entre Sète et Montpellier
Je les avais invités à participer à mon répertoire et je les avais accompagnés sur « Dans l’eau de la claire fontaine.»
Un moment inoubliable. Si ce n’est avant le concert, une discussion sur la Tchétchénie, que j’avais eu la maladresse de provoquer, et qui m’avait fait froid dans le dos. Tout musiciens que nous fussions, nous ne voyons pas exactement les choses de la même façon, c’est le moins qu’on puisse dire.
Bref, là n’est pas, aussi grave soit-il, mon propos.
J’avais évidemment parlé de Brassens, de son oeuvre, de sa vie, de Sète.
A l’entracte, c’est un gros gars qui est venu me trouver, un géant, la moustache généreuse retombant en halliers sur ses lèvres sanguines. Nous sirotions du vin chaud. Il me surpassait d’au moins deux têtes et je devais me tordre le coup et lever la mienne pour n’apercevoir, finalement, qu’une pomme d’Adam.
- Ah, c’est bien ! Bravo ! Je voulais vous féliciter…Et de sa main large comme une enclume, il me rudoyait amicalement l’épaule.
- Mais vous vous êtes trompé, pour Sète, poursuivit-il, goguenard.
- Ah ? C’est possible…
Je revenais justement de Sète où j’avais été invité pour le vingtième anniversaire de la mort du Poète et peut-être avais-je commis une erreur de date ou de lieu en y faisant allusion.
Le gros gars benêt, là, devant moi, avait l’air sûr de son fait et quoi qu’il fût d’aspect débonnaire, ses mensurations étaient de nature à refroidir toutes velléités de controverse.
- Oui, déclara t-il, Brassens était de Montpellier.
J’étais amusé par ce gros bonhomme et sa non moins grosse erreur.
Je lui souris.
- Ah, non, Brassens est né à Sète.
-Non, non, j’vous dis. Je suis chauffeur routier. Alors, vous savez, du pays, j’en vois et quand je passe à Montpellier, je m’arrête toujours sur sa tombe. Parce que Brassens, c’est pour moi, etc.…etc.
Je me suis dit que ce Monsieur, dans son rude métier, devait souvent se tromper de route… ou de client. Voire, dans le privé, de tombe ou d’enterrement.
C’était avant la vulgarisation du GPS, c’est vrai, mais quand même.
…Et pour une escalope
J’étais derrière ma table et je me languissais. Des gens venaient, discutaient, palpaient le livre.
J’en avais tout de même signé une dizaine dans l’après-midi.
J’allais donc plier les gaules quand une petite femme aux allures pressées, qui allait passer son chemin et filer vers un autre destin, entraînant par la main une fillette, s’arrêta tout net devant ma table en poussant un petit cri de franche surprise :
- Ah, Brassens !
- Eh oui…
Elle prit le livre, parcourut la quatrième, revint à la couverture, fit la moue et déclara :
- J’ n’aime pas Brassens….
J’étais déçu. Cette petite bonne femme alerte m’était en effet soudainement sympathique.
- Ca arrive, dis-je comme un corniaud.
- Enfin, c’est pas que j’n’aime pas. C’est que je comprends pas tout. Voilà.
- Ca arrive, m’entendis-je récidiver comme un triple idiot.
- Mais vous savez quoi ?
- Ben non…
- Je vais vous en acheter deux…
Je ne comprenais pas. Retrouvant un semblant d’esprit, je m’interposai tout sourire :
- Il ne faut pas acheter des livres qu’on…. Qu’on n’aime pas.
Il faisait vraiment trop chaud ou alors nous avions trop forcé sur les demis. J‘avais failli dire « qu’on ne comprend pas ».
- Oui, mais mon mari est un vrai mufle, un phallo qui ne fait rien à la maison, pas un plat, pas un coup de balai, n’étend jamais le linge, ne fait strictement rien des choses ménagères…Rien.
J’étais évidemment sidéré de tant de confidences spontanées et hors sujet et j’attendais la chute avec effroi.
La petite femme s’excitait. Elle poursuivit :
- Il ne fait que les courses chez le boucher. C’est tout. Et vous savez pourquoi ?
- Ma foi, non.
Elle sembla s’agacer de tant d’ignorance de la part d’un écrivain.
- Eh ben, mon mari il adore Brassens. Et le boucher aussi, et quand ils sont tous les deux, ils en profitent, ils passent des temps infinis à parler de Brassens.
- Ah, c’est curieux, aggravai-je mon cas.
- C’est comme ça. Alors, vous allez m’en signer deux et je vais leur offrir. Ca, ça va leur faire plaisir…
Je m’appliquai à deux belles dédicaces, remerciant in petto ce boucher poète et ce bonhomme de mari phallocrate.
Brave dame ! Je la revois encore, tout excitée et tellement authentique !
Au dîner, je conseillai à Patrick de varier un peu et d’organiser parfois des signatures dans les boucheries charcuteries.
Il se trouve qu’il s’y trouve aussi des gens férus de poésie.
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