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07.12.2015

A califourchon sur deux siècles - 4 -

344286575_ebd6bce97c_z.jpgEn 1419, les Anglais du roi Henri V assiégèrent Paris et le prirent enfin après l’avoir ruiné et affamé. Jules Michelet raconte alors deux livres témoignant de cette époque, l’un d’un gars du populo et l’autre d’un moine de Saint-Denis :

«  Si l’on veut voir comment les longues misères abaissent et matérialisent l’esprit, il faut lire la chronique d’un Bourguignon de Paris qui écrivait jour par jour. Ce désolant petit livre fait sentir à la lecture quelque chose de la misère et de la brutalité des temps. Quand on vient de lire le placide et judicieux religieux de Saint Denis, et que de là on passe au journal de ce furieux Bourguignon, il semble qu’on change, non d’auteur seulement, mais de siècle. .. » 

Ce récit prouve qu'on ne peut dire l’histoire de son époque qu’à la lumière de ce qu’on en a vécu et qu'il n’y a d’histoire que la somme des histoires individuelles vivant contradictoirement, en phase ou dans un silence résigné, une même réalité. L’homme qui a fait tourner des entreprises en distribuant des salaires de misère, qui a amassé de l’argent et roulé carrosse toute sa vie retiendra de son époque qu’elle fut florissante. L’homme qui n’aura rien amassé du tout, sinon de quoi avoir le droit de survivre et de s’endetter jusqu’au cou, retiendra de son époque, à supposer qu’il ne soit pas trop con dans sa tête, qu’elle fut une époque de chiens errants. Un écrivain qui aura rencontré le succès avec des livres médiocres, n’écrira pas que son époque fut médiocre mais qu’elle fut raffinée et copieusement cultivée. Un autre qui n’aura jamais été lu que par quelques-uns autour de lui, affirmera que ce fut une époque d’affreux béotiens et et caetera, dans tous les cas de figure, dans toutes les couches de la géologie sociale et à toutes les époques.
C’est la raison pour laquelle l’histoire ne peut être écrite que par ceux qui ne l’ont pas vécue et qu’elle ne peut être éclairée que par la trainée de poudre qu’elle laisse derrière elle.
Je dis donc la trainée de poudre laissée derrière elle par ma propre histoire et non la trainée de poudre de l’histoire.

Quelques années après le retour terrible, accablant, de l’ennui des années 80/90 dans le ventre mou de la sociale-démocratie Mitterrandienne, vint le temps d'une intégration relative et de la résignation.
La quarantaine toute proche, l’impossibilité de continuer à vivre en marge, les coups reçus, l’érosion des armes critiques avec lesquelles nous nous étions crus forts, la lassitude, ont fait de moi un être tout à fait ordinaire dans des temps ordinaires jusqu’à l’écœurante insipidité.
Toute une époque qui avait demandé, concrètement ou de  façon diffuse, la fin de la politique, venait de signer des deux pattes le retour d’une espèce de front populaire à la gomme.
Des cendres de mes dernières illusions, il ne me restait rien. Que ce fond de l’être, silencieusement obstiné, car encore enclin à penser, malgré tous les dénis d’un réel courant sur près de vingt-cinq ans, que le monde devait être reconstruit de plus équitable façon.
Les erreurs d’appréciation – dont la plus grave, celle dont il est principalement question ici, c’est-à-dire de croire que les hommes s’acheminent forcément vers des sociétés plus humaines - ont la vie dure.
Jusqu’à la psychose et jusqu’à la foi du charbonnier.
On se marrait quand même bien encore en levant nos verres et en entendant – en lisant plutôt – la propagande socialiste du moment, carrément volée aux situationnistes : Changer la vie.
Il s’agissait pour les charognards de détruire l’essentiel en lui donnant un semblant d’apparence. Ces charognards-là faisaient la fête sur le cadavre décomposé de l’intelligence critique. Et même s’ils ont tour à tour changé de nom, de pelage et de plumage, ils n’ont jamais cessé, depuis, de se régaler des reliefs d’une fête humaine définitivement vaincue.
Tous ces vautours, leurs cours de chambellans et leurs piétailles repoussantes et ignares n’ont toujours eu à la bouche que le mot « réformes » ou « changement », afin de mieux décapiter les peuples en fouillant plus profondément dans ce qui leur reste de tripes.
D’ailleurs, le grotesque président que s’est offert, en France et en dernier lieu, la bêtise des urnes n’annonçait-il pas, faisant preuve en l’occurrence d’une originalité à faire se cabrer d’hilarité un cheval de bois : Le changement, c’est maintenant ?

Si être progressiste, être pour le changement qualitatif, c’est prêter le moindre crédit à ces immondices dignes des plus vilains caniveaux du Moyen-âge, alors, oui, enfin, je suis un réactionnaire !

13:03 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, histoire, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

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