03.09.2015
Error communis facit jus
La Pologne subissant depuis quelque deux mois une insupportable canicule, les responsables du musée d’Auschwitz, sans doute le savez-vous déjà, ont cru bon d’installer des brumisateurs à l’usage des gens, parfois âgés, venus se recueillir en ces redoutables lieux de crimes et de supplices.
Aussi louable qu’ait été leur intention, mal leur en prit.
Car, eux qui ont en charge la redoutable tâche d’entretenir, en ces lieux où Dieu et les hommes ont définitivement cessé d’exister, la mémoire de la plus grande catastrophe criminelle jamais surgie au sein de l’humanité, eux qui ont pour devoir de transmettre à tous cette phrase inscrite sur d’autres cendres, celles de Majdanek, que notre sort vous serve d’avertissement, ils ont ignoré la nature dénaturée du présent dans lequel ils avaient à transmettre.
Ils ont ignoré que la mémoire du vécu, tout comme le vécu de la mémoire, s’est éloigné en une représentation et que tout ne peut désormais se dire, se raisonner et s’agir qu’en termes d’images au détriment du réel, même ici où, pourtant, l’intérieur intime, silencieux, brut, primaire, nu, irréfléchi, en un mot comme en cent humain, devrait être le seul à gémir.
Le signifiant, là comme partout ailleurs, a phagocyté le signifié jusqu’à le détruire ; le mot a remplacé la chose et toute chose a disparu.
C’est ainsi que ces innocents brumisateurs font scandale et sont considérés comme une honte parce qu’ils rappelleraient, parce qu'ils imagineraient, parce qu'ils représenteraient, les fausses douches installées par les bourreaux dans les chambres à gaz, à dessein de tromper l’ultime vigilance des suppliciés.
Ces horribles douches - les fausses-vraies des nazis - ne sont-elles donc plus assez éloquentes, assez terribles, assez tragiques, ne signifient-elles donc plus assez, qu’ils faillent s’émouvoir de généreux brumisateurs destinés à éviter les malaises des visiteurs ?
Époque dénaturée qui ne sait même plus se dignement souvenir !
Tout mon soutien aux responsables du terrifiant musée d’Auschwitz.
15:44 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : histoire, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
... Époque où tout un chacun (ou presque) opine sur tout.
Écrit par : ArD | 03.09.2015
Oui, les responsables de ce musée n'ont pas la vie facile.
Écrit par : Feuilly | 03.09.2015
Très bel article Bertrand.
La langue au service de la pensée, c'est toujours un bonheur.
Écrit par : Michèle | 04.09.2015
Chère ArD, c'est bien ça : l'inflation galopante des jugements de valeur. En économie, il y a inflation quand il y a plus d'argent en circulation que de marchandises à se procurer.
Là, il y a plus de jugements émis que de sujets réels à débattre... Alors on opine à tout vent, n'ayant à opiner sur rien.
Ce qui fait faire l'économie de l'essentiel. "Branlant du chef opinent" chantait Brassens, usant d'une succulente facétie du champ lexical.
Bien à Vous
Cher Feuilly, c'est une tâche bien lourde, oui, dont a hérité, bien malgré elle car elle ne fut que le billot des bourreaux, la Pologne.
Chère Michèle, oserais-je ici citer le vieil adage de l'Art poétique du sieur Boileau? "Ce qui se conçoit bien ...etc..."
Bien à Toi
Écrit par : Bertrand | 04.09.2015
"Époque dénaturée qui ne sait même plus se dignement souvenir !" Pas mieux!
Écrit par : Alezandro | 05.09.2015
C'est très gentil, Alezandro...
Écrit par : Bertrand | 09.09.2015
Les commentaires sont fermés.