14.01.2013
La violence historique - 4 -
Plutôt que de titrer La violence historique, j’aurais sans nul doute été mieux inspiré de parler de violence insurrectionnelle, celle qui intervient quand les contradictions des intérêts sociaux ne peuvent plus trouver résolution que dans l’affrontement direct.
J’étais parti d’une phrase imbécile lue sur Robespierre, donc de la Révolution française et, plus précisément, de la Terreur, dont je demandais - et ce quel que soit le degré d’aversion qu’on puisse éprouver à son égard - qu’elle soit lue avec les yeux de l’époque révolutionnaire, c'est-à-dire le temps des coalitions militaires de toute l’Europe, des menaces d’invasion du territoire par ces coalitions, du soulèvement de la Vendée, de l’entrée en dissidence d’une dizaine de grosses villes, dont Lyon, Nantes et Bordeaux, du manque de farine et de pain et cætera, et non avec les yeux "apaisés", éteints, morts, de la nôtre.
La violence historique ne s’exprime donc évidemment pas que sur des barricades et par le renversement manu militari des pouvoirs en place. Elle s’exprime dans les attentats, les actes individuels, les lois liberticides, la brutalité du système financier, l’iniquité permanente du système économique, la pauvreté du plus grand nombre.
En entamant ce sujet que je vais sans doute clore aujourd’hui, il m’apparaissait évident que je me situais hors du champ politique tel qu’il est investi depuis l’instauration du suffrage universel, c’est-à-dire par des gens qui ne peuvent que trahir leur discours sitôt leurs fesses installées dans les fauteuils moelleux de la République. Ça me semblait évident car je ne m’adresse ni à des naïfs, ni à des militants pour une gestion sociale de la misère. Je m’adresse à des gens qui voient plus loin que le bout de leurs possibilités à terme, à des rêveurs, des poètes, des révoltés, des utopistes, des coléreux, des pour qui le masque du carnaval politique est définitivement tombé et qui réclament néanmoins encore le droit de vivre leur vie et d’émettre des opinions hors du cercle vicieux, mensonger, falsifié, des oppositions traditionnelles gauche, droite, centre et autres labels de la décomposition démocratique qui, depuis plusieurs siècles, ont fourni les preuves de leur vilenie.
Je pense et redis donc que la violence insurrectionnelle est le marque-page du grand livre de l’histoire, que c’est elle qui indique à qui veut bien lire ce livre sans les lunettes de ses intérêts immédiats, de ses peurs et de ses engagements dans la comédie politique, où nous en sommes réellement de la course de l’histoire.
Cette violence ne s’est pas exprimée en France depuis la Commune de Paris, que l’idéal démocratique noya dans le sang, le meurtre, les viols, les exécutions sommaires et de masse, les déportations.
Depuis, n’en déplaise aux démocrates progressistes qui se croient à la page parce qu’ils ont cessé de lire le monde, nous n’avons pas avancé d’un pouce et j’en veux pour preuve qu’aucun pouvoir, qu’aucun gouvernant, qu’aucune République, qu’aucun réformateur à la gomme n’a même songé, ne serait-ce qu’à titre symbolique, à débaptiser les avenues, les parcs et les rues des grandes villes qui honorent la mémoire infâme de cet infect boucher que fut Adolph Thiers.
Parce que la dernière grande déroute du peuple est là et que tout le reste s’est construit sur et grâce à cette déroute, avec l’aval de tous les opposants aux divers gouvernements.
D’ailleurs, si j’étais certain de les avoir encore à mon crédit, devant moi, je parierais 20 ans de mon existence que la violence insurrectionnelle, quand elle refera immanquablement surface, trouvera devant elle, pour la conjurer dans le sang, des Thiers issus aussi bien de l'église Copé, Hollande, Mélenchon, Le Pen que de tout autre accapareur de la parole décadente. Toute cette clique se croise, se rencontre et se flagorne aux hasards des couloirs de parlements, des loges maçonniques, des remises de décoration, des commémorations et autres grandes kermesses républicaines.
Je l’ai déjà dit : la violence est incontournable si l‘on veut changer de chapitre. Le reste n'est que tergiversation intéressée à la pérennité du désastre.
Le dilemme est dans le souhaitable ou non de cette violence et je me suis exprimé sur le sujet.
Et c’est parce qu’ils la croient définitivement muselée que les escrocs de la parole politique se croient du même coup autorisés à singer cette violence et à proposer dans leurs discours publicitaires les motifs mêmes sur quoi elle éclatera certainement.
Mais, comme dit l’autre, il y a déjà longtemps que je verrai le monde par en-dessous, côté racines des fraisiers.
Alors, j’en parle à mon aise… et il me reste surtout à vivre en dehors des controverses de salon. Profiter de la vie sans avoir à endosser la soutane et le goupillon de causes qui, à force d'être remises aux calendes, ne sont plus que causes de causeurs.
14:16 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Ce que l'on nomme le "cause toujours", donc...
Otto Naumme
Écrit par : Otto Naumme | 14.01.2013
Cher Otto, un peu, oui... Les mauvaises langues disent que la dictature c'est "ferme ta gueule !" et la démocratie "cause toujours ! "
Bien heureux de vous entendre par ici.
Écrit par : Bertrand | 14.01.2013
Débaptiser une rue n'empêchera pas la réalité, cela dit. Que le nom de Thiers reste ou pas, ce n'est pas ça qui consacrera telle ou telle victoire. Méfions-nous des symboles. ce sont des hochets commodes pour ceux qui veulent dominer.
Écrit par : Le Tenancier | 14.01.2013
Finalement, je vais épouser le Tenancier (aussi !).
Otto Naumme
Écrit par : Otto Naumme | 14.01.2013
Je savais que vous ne m'aimiez pas que pour mon corps, mon cher Otto.
Écrit par : Le Tenancier | 14.01.2013
"Cette violence ne s’est pas exprimée en France depuis la Commune de Paris" : dans l'hexagone alors. Les colonies ("c'était la France") ont connu bien des soulèvements. 1945 en Algérie, et pour plus de "violence", les débuts de la Guerre d'Algérie durant la Toussaint 1954. Et cela, juste pour se cantonner à l'Algérie (Madagascar aussi).
Écrit par : Satantoine | 14.01.2013
Ce qui est triste dans ces insurrections, ce sont leurs meneurs, dont les têtes finissent par enfler démesurément.
Écrit par : Alfonse | 14.01.2013
Je crie à la trahison publique, me voilà cocu avant même les épousailles ! Vous m'en rendrez réparation, cher Otto !
Bon, un peu plus sérieusement, cher Tenancier, j'ai pris soin de dire " à titre symbolique" et bien sûr qu'effacer le nom de cette crapule de l'histoire ne règlerait rien du tout ... Mais je maintiens que le fait que nul n'y ait songé trahit sans ambages les travers de la pensée dominante et indique comment cette pensée voit et veux présenter à la mémoire collective le personnage, en occultant ses crimes.
Vous n'êtes pas d'accord ?
Satantoine, oui vous avez raison de rappeler l'Algérie et Madagascar. J'aurais dû dire " en France métropolitaine." Merci d'avoir apporté cette rectification : la violence insurrectionnelle du peuple algérien ( et sa répression)fait entièrement partie de mon propos. C'est une violence qui a tourné une page du livre.
Alfonse, nous ne saurions en effet citer une révolution qui n'ait pas été trahie par les gens qui ont " pris le train en marche", qui se sont installés aux commandes et fait basculer la volonté populaire sur le champ politique. Ce fut le cas pour la Révolution française aussi.
Écrit par : Bertrand | 15.01.2013
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