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04.01.2013

André Hardellet, Julien Gracq, Brassens...

littératureFace aux poètes et aux grands écrivains, la justice avec un j minuscule, celle des grands de ce monde, de la propriété privée, de la magouille légale justifiée et cautionnée par la morale coercitive judéo-chrétienne, s’est souvent ridiculisée.
Deux cas d’école viennent évidemment directement à l’esprit, Les Fleurs du mal, condamné pour «offense à la morale religieuse, outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs» et Madame Bovary, également poursuivi pour «outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs».
Retenons tout de même que Flaubert fut relaxé, en grande partie grâce à ses appuis politiques. Comme quoi, du XIXe au XXIe siècle, vraiment rien de nouveau sous le soleil de la combine…
On connaît donc ces deux cas parmi d’autres, multiples, mais peut-être connaît-on moins celui d’André Hardellet, condamné aux mêmes motifs en 1973 pour son roman Lourdes, Lentes, un livre généreux et tendre sur les phantasmes sexuels d’un jeune garçon, très bien écrit, dans un cadre campagnard bien dit.
Ce fut une condamnation honteuse, sous le regard indifférent d’un Président de la République à la gomme, qui se faisait pourtant gloire d’avoir écrit, ô misère, une Anthologie de la poésie française !
Hardellet, dont Breton, Pierre Mac Orlan et son ami Julien Gracq disaient le plus grand bien, ne se remit pas de cette condamnation infâme, déplacée, injustifiable : il mourut l’année suivante. Même amnistié par l'arrivée du Président tête de noeud.


Hardellet et Georges Brassens éprouvaient l’un pour l’autre une très grande estime. Compagnon de ce dernier, Mario Poletti (que j’eus l’heur de rencontrer deux fois à Vaison-la-Romaine), raconte dans son livre très bien documenté Brassens me disait :
« […] en juin 1974, André Hardellet me rend visite aux éditions Plon. Son visage est marqué par sa condamnation. Il me demande de lui fournir le livre La Vie après la mort, en vogue à l’époque. Quelques jours plus tard il disparaissait… »

Là, la justice ne s’était donc pas seulement ridiculisée : elle avait tué par procuration. Mais il est vrai que le  ministre de l’intérieur à l’origine de la procédure, un grand salaud de première catégorie, Raymond Marcellin, avait été salué par De Gaulle à son arrivée au ministère de l’intérieur en mai 68 - en remplacement de Christian Fouchet -  par un retentissant : Enfin Fouché, le vrai ! En référence à l’abominable ministre de la police de Napoléon Bonaparte.
Pas toujours très fin, «l’homme providentiel», surtout dans ses conceptions de l’Etat policier.
Il est vrai aussi qu'un peu plus tard, ce Marcellin, cette ordure élevée au pinacle politique, sera pris la main dans le sac à installer des micros au Canard enchaîné. La fameuse affaire des faux plombiers de Marcellin.
A ce procès honteux, donc, d’André Hardellet, étaient venus pour lui témoigner amitié, solidarité et soutien, de nombreux amis, dont Julien Gracq et Georges Brassens.
Rien n’y fit. Pour Marcellin, père spirituel de Charles Pasqua, la poésie et la littérature n'étaient qu'affaire d'anarchistes subversifs et sans doute le fait d’être soutenu par des olibrius pareils était à ses yeux un aveu encore plus fort de culpabilité et de perversité totale de l’esprit.

Avant qu’André Hardellet ne soit appelé à la barre, un autre justiciable avait à répondre de ses actes devant les chats fourrés. Il s’agissait d’un homme qui était intervenu chez une dame en instance de divorce sous une fausse identité d’agent de police, mandaté par son ami, le mari, pour y soutirer je ne sais quoi ou y exercer je ne sais quelle contrainte.
A l’énoncé des motifs de poursuites par le juge, Brassens s’était penché sur l’épaule de Mario Poletti et lui avait murmuré : Ce n’est déjà pas glorieux d’être un flic, mais se faire passer pour tel, c’est bien pire encore !
Les flics, la justice, les poètes, les hommes de cœur et d’esprit ne faisaient pas bon ménage, en ce temps-là... Et quand je vois aujourd’hui les poètes à la ramasse, les artistes de pacotille, les philosophes à la noix, les hommes d’esprit qui ont de tout à revendre sauf de l’esprit, fricoter avec les imbéciles au pouvoir, national ou local, ça me donne envie de gerber ce que je n’ai même pas encore bu.

Ça
me donne surtout envie de n'avoir jamais rien de commun ni rien à partager avec tous ces vendus au plus offrant.

 

Illustration : Hardellet et Brassens pour la sortie en librairie du recueil de poèmes Les Chasseurs deux

10:52 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Il fut une époque où chanceuse que j'étais je voyais Mario Poletti toutes les semaines, il était représentant de je ne sais plus quelle maison d'édition, et- je travaillais ...à la Fnac; il était vraiment à part et rayonnait, je ne sais pas comment dire autrement.

Écrit par : Sophie | 04.01.2013

" Rayonnant", oui, c'est comme ça qu'il se présente à mon souvenir. Un gars d'une exquise sympathie. Tu avais bien de la chance, effectivement.
Il était un ami très intime de Brassens, ces deux-là s'étaient connus enfants, à Sète. Il avait écrit à l'éditeur de mon livre sur Brassens pour lui dire tout le bien qu'il en pensait.
J'étais pas peu fier, miladiou !

Écrit par : Bertrand | 04.01.2013

Voilà un texte qui mériterait une très large audience car beaucoup de choses y sont dites.
Merci.

Écrit par : Georges | 04.01.2013

Il aura au moins l'audience des lecteurs de L'Exil des mots... Ce ne sera déjà pas si mal, ma foi !
En tout cas, merci à vous d'y avoir prêté attention.

Écrit par : Bertrand | 04.01.2013

Je crois me souvenir qu'il était représentant de chez Vilo.
Ma tante par alliance était voisine de Brassens à Paimpol. Ils se sont souvent rencontrés. Il est dommage que je ne puisse vous mettre en rapport avec elle, à une ou deux années près, ça aurait pu se faire...
A part ça, il me semble que les témoignages de Gracq et des autres ont été reproduits dans un des volumes de la collection "Le Désordre" chez Losfeld. J'ai souvenir du témoignage de Gracq, superbe !

Écrit par : Le Tenancier | 04.01.2013

Merci, Tenancier. Je ne connais pas le volume "Le Désordre". J'aimerais bien le lire, certes.
J'eusse aimer converser avec votre tante.
Paimpol,il est vrai que vous êtes Breton.
Brassens fait une allusion à Paimpol dans une chanson succulente dite de salle de garde, "Mélanie" :
Son mari, pris dans la tempête
La Paimpolaise était en train
De vouer, c'était pas si bête,
Un cierge au patron des marins.
Ce pieux flambeau qui vacille
Mélanie se l'est octroyé,
Alors le saint, cet imbécile,
Laissa le marin se noyer,
Laissa le marin se noyer !

Bien à Vous

Écrit par : Bertrand | 07.01.2013

Je n'ai pas comprit tout le texte, qui peut m'aider? J'aimerais vraiment le comprendre!

Écrit par : Julien Dupont | 29.08.2013

Les commentaires sont fermés.