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13.12.2012

13 décembre 1981 : la Pologne sous les couteaux

proclamation-de-la-loi-martiale-en-pologne-.pngIl y a trente et un an aujourd’hui, à six heures du matin, la voix du général Jaruzelski annonçait sur toutes les radios et à la télévision  :
"Citoyennes et citoyens, grand est le poids de la responsabilité qui m’incombe ce jour…
"
La Pologne se réveillait ainsi sur un cauchemar qui allait durer deux ans : la proclamation de la loi martiale et la déclaration de l’Etat de guerre dans tout le pays.
Six mille syndicalistes et opposants actifs avaient été jetés au cachot dans la nuit, toutes les garanties légales suspendues, les lois fondamentales comme celle protégeant (officiellement) la  liberté de circuler anéanties, les frontières et les aéroports fermés, le couvre-feu décrété.
Le pays était sous la botte. Exsangue.
A la vitesse historique, c’était donc hier et les Polonais aujourd’hui vaquent à leurs occupations, rient, chantent, s’aiment, souffrent comme tout le monde des maux de la mondialisation libérale.
Mais ils se souviennent. L’air pur, plus de trente ans après, semble encore, parfois, leur donner le vertige. Il y a quelque temps, alors que je garais insolemment mon automobile sur un espace normalement réservé aux piétons, un vieux monsieur,
les mains dans les poches, la cigarette au bec, l’œil goguenard, qui me regardait manœuvrer et auquel je demandai si je pouvais me permettre parce que je n’en avais que pour quelques minutes, m’avait répondu - comprenant dès ma première syllabe que j’étais étranger - avec une pointe de fierté amicale allumée dans ses yeux :
- W Polsce wszystko wolno ! (En Pologne, tout est permis)
Paroles anodines qui, ici, ne le sont pas.
Tous ceux qui ont plus de quarante ans se souviennent donc aujourd’hui de ce 13 décembre.
Leur pays a été meurtri dans les profondeurs de sa chair. Pour une foule de gens de l’Ouest définitivement enfermés dans les clichés les plus crasses, il est encore le pays des longues files d’attente devant les magasins, sous la neige et le vent, le pays où il n’y a ni viande, ni produits laitiers, ni pain convenable, ni routes, ni services publics, ni vêtements décents. Que de la vodka et des militaires armés jusqu’aux dents au coin des rues. Bref, leur cervelle, à ceux-là très nombreux encore (j’ai eu l’occasion de m’en rendre compte à chaque fois que je suis revenu en France) s’est scotchée sur des titres de journaux et des images télé, comme si, après, vu qu’on n’en parlait plus, ou beaucoup moins, l’histoire s’était arrêtée.
Mais que faire d’autre quand la nature vous a doté d’un cerveau d’imbécile, sinon arrêter l’histoire aux dernières informations saisissantes reçues ?


Le vieux général Wojciech Witold Jaruzelski, aujourd’hui âgé de 90 ans, a toujours assumé devant l’histoire et devant ses compatriotes la responsabilité de ce matin de décembre. Il répond présent à toutes les convocations au tribunal qui lui sont régulièrement adressées depuis trente ans. Le vieillard ne se dérobe pas, ne se cache pas : il habite un appartement connu de tous  les Varsoviens.
Je ne suis pas certain du tout, du tout, qu’une telle situation serait possible à Paris.
L’état de guerre fut, si on peut dire ainsi, le dernier coup de bluff du communisme détruit sur ses bases, pour donner encore l’illusion de sa vitalité première. Jaruzelski savait très bien qu’il n’endiguerait jamais les aspirations à la démocratie du peuple polonais, que le vent de l’histoire avait définitivement tourné, que l’Union Soviétique elle-même en train de se dévorer les entrailles avec un système qui n’était plus viable et ne l’avait d’ailleurs jamais été autrement que par le mensonge, la ruse et la force, embourbée de surcroît en Afghanistan, ne pouvait se permettre, comme à Prague vingt ans plus tôt, de venir rétablir l’ordre communiste à coups de chars.
Et quand bien même en eût-elle montré quelques velléités, que Jaruzelski sauvait la face et tentait de l’en dissuader en lui montrant  qu’il avait la  situation en main.
Car les tensions étaient telles, les contradictions avaient atteint un tel point de non-retour,  qu'il a aussi voulu éviter, par la loi martiale et la démonstration de force, l’affrontement direct et les bains de sang de la guerre civile.
Sur toutes ces questions relatives aux responsabilités du vieux chef communiste,
le sentiment des Polonais est encore très contrasté. J’écoute ceux qui ont vécu les tumultes, voire qui y ont participé, et je me garde bien d’émettre un jugement qui, de ma part, serait tout à fait indécent. Ils ne sont pas d’accord entre eux, les Polonais, sur le déroulement de cette époque dramatique, mais, sinon peut-être pour les catholiques populistes du PIS (Droit et justice) menés par le dangereux conservateur Jarosław Kaczyński, il n’y a pas de haine, pas de chasse aux sorcières, pas de goût de revanche.
Qu’un immense soulagement d’être sortis du tunnel.
Rendons un honneur, mesuré car tout discours politique est fait de paroles convenues, au Président Hollande - on n’en a pas tous les jours l’occasion - qui, en visite à Varsovie le 16 novembre dernier, a su déclarer devant le parlement polonais que ce peuple avait, bien avant la chute du mur, souffert le martyr pour avoir pris l’initiative victorieuse* de soulever le joug totalitaire qui depuis cinquante ans accablait toute l’Europe centrale et de l’est.


*après les cuisantes défaites de Bucarest en 1956, de Prague en 1968 et de Varsovie elle-même en 1970.

Pour avoir une certaine idée des véritables victorieux et des vaincus oubliés - pourtant du bon côté de la barricade - de cette lutte historique, voir ici un autre témoignage.

11:25 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Merci pour ce très utile rappel de mémoire.

Écrit par : collignon | 13.12.2012

Merci à vous en tout cas d'y être sensible.
J'ai lu, quant à moi,vos dernières notes de lecture, menées d'un ton alerte

Écrit par : Bertrand | 13.12.2012

Les commentaires sont fermés.