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05.12.2012

Fantastique et furtive rencontre

littératureJ’en rêvais, sans vraiment oser y croire. Les rêves croisent rarement la route des hommes. Et puis, les spécialistes, les autochtones urbains, deux ou trois écolos aussi, m’avaient assuré que c’était fort improbable.
Dans le temps, oui, mais maintenant...
Les habitants du village, eux, avaient été moins catégoriques. Certains avaient prétendu que, parfois, l’hiver, il pouvait arriver que des individus isolés poussent leur course jusqu’ici, venant de la grande forêt de Włodawa ou d’ailleurs…
Un soir de neige et de vent, il y a un ou deux ans de cela, j’étais planté au milieu de ma cour, la forêt face à moi avec un bout de lune accrochée à ses cimes. Pour tout vous dire, j’étais planté là pour y gratifier la neige d’une miction libératrice, car que peut-on faire d’autre, la nuit, l’hiver, sous la neige et dans le vent, planté au milieu de sa cour ? Je vous le demande bien.
J’avais cru entendre, donc, au loin, dans les sombres profondeurs, la voix étouffée, rauque, caractéristique, légendaire. Comme un gémissement errant de la solitude.
On m’avait allégrement moqué. Surtout Jagoda. Un chien perdu, qu’elle avait pouffé. Tu veux tellement qu’il y en ait chez nous, que tu les entends.
Sur ce, fort possible, en tout cas fort bien dit, j’avais abdiqué. J’avais fait mine d’oublier la plainte dans la nuit gelée. Mais je suis têtu.

Et ce matin, dans la forêt, sur la route ensevelie de blanc et de glace, alors que je roulais au pas, il a surgi. La gamine, à côté de moi, babillait que c’était bien d’avoir des responsabilités, que ça obligeait à penser à autre chose qu'à ses petites affaires, car un prof l’avait déléguée pour récolter des pièces de monnaie, jaunes, qui seraient offertes aux enfants de la Maison de l’Enfance.
Je me suis fait aussitôt sarcastique. Te voilà bientôt rendue comme la mère Chirac, que j’ai rigolé. Elle s’apprêtait, sourcils froncés,
l’œil vexé car subodorant que ça n'était pas forcément un compliment,  à me demander plus ample explication...
Mais l’animal est sorti des fourrés, très vite, juste devant la voiture. Magnifique allure, queue droite dans le prolongement du corps, course puissante, tête tendue vers la fuite. Il a pénétré dans le sous-bois d'en face, s’est arrêté une seconde, a regardé en arrière et a repris sa course sauvage sous les broussailles alourdies de neige.
Un loup ! Nous sommes-nous écriés en même temps.
Nous étions époustouflés et nous en avons parlé pendant les trente kilomètres, oubliant le verglas et la glace. Je le reverrai longtemps bondir, là, tout près, ce redoutable inconnu que l'on dit invisible.
Et maintenant je sais que la forêt, celle qui encercle ma maison, celle que je vois tous les jours et à toutes saisons, celle où je me promène, celle des myrtilles, des chevreuils, des grands corbeaux, des élans,  peut être aussi habitée par des loups.
Ce n’est peut-être rien du tout pour toi, lecteur. Pour moi, ça la fait accéder, cette forêt, au statut
de grande forêt, au rang de la légende, du conte, du fantastique.
Cet après-midi, quand la nuit l’aura enveloppée de silence, de froid et de neige, je sais que je la regarderai autrement.
Avec plus de respect encore, mêlé à une peur délicieuse. Je tendrai l'oreille et je n'entendrai,
sans doute, que du vent glissant entre les grands pins et les bouleaux.

Pourtant, c’est l’idole redoutée des hommes, haïe, chérie, fantasmée, tantôt diable et tantôt ange, qui, ce matin sous une aube de neige, a croisé ma route et sur mon imaginaire laissé son empreinte du réel.

10:11 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

C'est ce qui s'appelle 'voir le loup'.
Toutes les félicitations !

Écrit par : Alfonse | 05.12.2012

Elle est encore un peu jeune. Quant à moi... Sans commentaire (!)
Je suppose que vos félicitations s'adressent au texte, parce que pour le loup, là, même si j'en suis ravi, je n'y suis absolument pour rien.

Écrit par : Bertrand | 05.12.2012

Les commentaires sont fermés.