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19.06.2012

A propos d'Anna Karénine

littératureJe viens de relire, avec grand plaisir, Anna Karénine.
Cela m’a ramené gentiment quelque trente années en arrière.
Quand on lit un classique qu’on avait lu du temps où on ne l’était pas encore, classique, on lit deux fois, en fait, et simultanément : on lit ce qui est écrit et on lit ce qu’on avait lu. On lit du passé et du présent. On lit l’auteur et soi-même, sur un parcours. Mais il faut
évidemment pour cela que le livre soit et ait été marquant. Qu’il soit un monument.
Anna Karénine. La Madame Bovary russe. Encore qu’elle n’ait avec l’héroïne de Flaubert qu’un seul point commun, finalement secondaire : l’adultère. Socialement assumé chez elle, jamais chez Emma Bovary. Anna Karénine souffre en effet de pas mal de choses, mais surtout pas de bovarysme.
Je me souvenais donc de l’écriture de Tolstoï et de sa façon gigantesque de procéder. Je me souvenais de son art de fouiller au scalpel l’âme russe. Des détails de l’histoire, comme on dit, j’en avais oublié beaucoup, mais est-ce là l’important, l’histoire, dans de tels livres ?
Je me permets dès lors cette outrecuidance : si j’avais été l’auteur - je suis bien à des années-lumière d’en être capable - de ce livre, je ne l’aurais pas appelé Anna Karénine, mais Constantin Levine. Parce que c’est là le personnage le plus édifiant et le plus de chair et d'os. Le plus authentique. Normal :  si l’on regarde la biographie de Tolstoï et ses préoccupations - tant intellectuelles que sociales - dans l'organisation de son domaine de Iasna
ϊa Poliana, on retrouve Levine un peu partout.
Vous me direz avec juste raison, que le propre d’un roman de cette envergure n’est pas de dresser le portrait de son auteur. Certes. Mais là, le personnage littéraire est riche parce que le modèle est riche. Tellement qu’il pose avec éloquence toutes les interrogations de la Russie dans cette période clef pour elle, comprise entre l’abolition du servage et la révolution d’octobre. Avec Levine, on voit naître sur le tissu de l’histoire, non pas les bolcheviks bientôt victorieux, mais les mencheviks écartés au congrès de Londres de 1903 et, finalement, contraints à l'exil.

Ce que j’ai souligné aussi dans cette seconde lecture concerne Anna Karénine elle-même. Par-delà sa passion amoureuse vécue hors des convenances du monde aristocratique, un trait m’avait échappé et qui ne figure, à ma connaissance, dans aucun des mille et mille commentaires consacrés depuis plus d’un siècle à ce personnage de la littérature universelle : son addiction à l’opium et à la morphine.
Tolstoï y fait plusieurs fois allusion, habilement, sans s’alourdir. Il signale. Il donne une piste. Il insiste discrètement.
Conséquence de sa situation sociale scandaleuse ou, parmi bien d’autres causes, cause ?
Il m'a semblé que toute la jalousie paranoïaque de l’héroïne dans les derniers chapitres et la perte de ses facultés à concevoir mentalement sa situation - perte qui la conduit, animée d'un vil sentiment de vengeance post mortem, à se jeter sous un train - ne sont pas étrangères à la prise régulière de morphine.
Il m’a semblé, ai-je bien dit, lors de cette deuxième lecture, faite à trente ans d’intervalle. Et c'est bien là le propre des grands livres que de donner toujours du grain à moudre ; que de n'être jamais définitivement lus.

10:17 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

- Prends de l'opium.
Il consentit et but sa potion. Elle sortit. Jusqu'à trois heures il resta plongé dans une torpeur pénible. Il lui semblait qu'on le poussait douloureusement dans un sac noir, étroit et profond ; on le pousse, mais il ne parvient pas à passer. Et cette chose effroyable lui cause une souffrance aigüe. Il a peur, il voudrait tomber dans le sac,il résiste et s'efforce de passer à travers l'étroite ouverture.

La mort d'Ivan Ilitch

Écrit par : Jean-Loup Fauvette | 19.06.2012

Terrible nouvelle - je veux dire terrifiante - que la mort d'Ivan Ilitch.

Écrit par : Bertrand | 19.06.2012

Orhan Pamuk considère Anna Karénine comme le meilleur roman jamais écrit. Je n'irais peut-être pas jusque là mais c'est un très grand livre.

Je suis d'accord avec toi sur l'importance du personnage de Lévine, avatar de Léon Tolstoï (et avatar d'autant plus transparent que le prénom de Tolstoï, Léon, se dit Lev en russe). Il y a dans le livre une page absolument superbe, celle où Lévine, revenu dans son domaine, fauche les foins avec les paysans... J'ai un souvenir ébloui de ce passage. Ça me donne envie de relire ce roman, d'ailleurs !

Écrit par : elizabeth l.c. | 21.06.2012

Hé salut, Elisabeth ! Longtemps que tu n'étais pas venue dire un mot dans les parages. amicale Re-bienvenue !
Le passage auquel tu fais allusion est effectivement un des plus beaux du livre. Un sur lequel je me suis arrêté.
Faudrait être capable de lire cela en russe car, pour excellente qu'elle puisse être, une traduction reste une traduction !

Écrit par : Bertrand | 21.06.2012

Merci à toi Bertrand ! Je te répondrai plus longuement par mail.

Écrit par : elizabeth l.c. | 21.06.2012

Les commentaires sont fermés.