17.05.2012
J'ai eu l'temps
Le temps.
Celui qui coule sur notre temps, sous nos pieds, sur nos sentiments, sur nos pages, sur nos blogs.
Autant dire sur nos soliloques.
De quelle nature faut-il l’habiller, ce temps ? Matérielle ? Immatérielle ? Réelle ? Fictive ? Est-il à nous ou n’est-il qu’une parallèle qui nous accompagne ? Une parallèle douée d’un mouvement autonome.
Il est les deux sans doute. Il y a le tic tac de la pendule, les levers et les couchers du soleil et chacun d’eux est un grain de sable qui chute dans le sablier. Il s’écoule, tel s’écoule l’eau de la rivière, de la roche première à l’Océan béant. Il est notre cheval de randonnée et l’ennui consiste souvent à descendre du cheval pour le regarder trottiner seul. Qui va au but. Sans vous mais quand même en même temps que vous.
Il faut enfourcher le temps. Tirer sur les rênes selon notre choix, aller à hue ou à dia, marcher, trotter ou galoper, choisir les paysages traversés.
C’est simple et le temps, le sablier, ne seront vaincus qu’à ce rythme. C’est simple mais très difficile à réaliser cependant.
Combien sommes-nous qui chevauchons direction l’horizon sans maîtriser la course du cheval ? Une haridelle qui n’en fait qu’à sa tête ! Qui va plus vite qu’on aimerait ou qui lambine. C’est ce qu’il nous semble. L’haridelle marche pourtant d’un pas absolument régulier.
On devrait apprendre aux hommes, d’abord, à chevaucher le temps. A ne pas jouer la montre.
A ne jouer dans leur tête que la fatalité d’un voyage.
Je lisais - on me traduisait plus exactement - il y a quelque temps, un texte des plus sérieux qui disait que les vieillards, ceux pour qui le cheval a déjà longuement marché et qui, à l’approche de l’écurie promise, presse soudain le pas, ne vivaient pas tous le temps de la même façon, selon qu’ils soient des vieillards maussades, apathiques, recroquevillés au coin des feux ou selon qu’ils soient des vieillards débordant d’activités, débridés, amoureux, entreprenants, ces derniers conduisant leur monture et les autres la regardant s’enfuir toute seule. Vers la fin du temps.
Contrairement à ce qui vient directement à l’esprit et à ce que je pensais jusqu’alors, ce sont pour ceux qui sont actifs, les randonneurs émérites, les fougueux, que passe plus lentement le temps. Parce que ce temps est habité, truffé de points de repère et fourmillant de souvenirs, chaque jour un nouveau préparé pour le lendemain, alors que les contemplatifs, les assis, les cacochymes, trouvent que le temps défile devant leurs yeux à une vitesse folle, parce que leur temps est toujours le même, sans pic ni chute, qu’il est uniforme, qu'il n'a pas de mémoire qui vaille la peine d’être utilisée, de le personnifier, semblable d’un bout à l’autre d’une année et que, finalement, son inutilité est ressentie comme un vide vertigineux, qui roule à une vitesse également vertigineuse, à cause du vide, justement. Comme une pierre jetée dans un trou profond et qui, par le poids contrarié de son inertie naturelle, prend de la vitesse sans jamais dévier d'un but qu'elle ne poursuit même pas, mais qui s'impose à elle.
Pour ceux-là, le temps est en distorsion : les journées sont affreusement longues et les années désespérément courtes.
Etonnant. Remise en cause fondamentale des poncifs tels que tuer le temps, s’occuper pour ne pas voir le temps passer. Dérision. Il passera de toute façon. Il est sablier et tout sablier contient en lui un dernier grain de sable.
Vivre pleinement, donc, c’est ralentir la course du temps. Le faire s'éterniser dans la multiplicité des expériences. Pour qu’il perde son latin à s'y retrouver.
Le vivre en temps morts, c’est, au contraire, l'accélérer. Ce que personne ne voudrait, à commencer par les amoureux de la vie et leur horreur de ces temps morts. Ne pas s'ennuyer devient un oxymore : c'est trouver le temps long.
Mais la parallèle autonome avec ses tics tacs et ses levers et ses couchers de soleil ne se souciera pas de vos façons de faire, alertes ou passives.
Il s’agit donc de créer une illusion.
Vaincue par l'éphémère frappé au front de sa naissance, la vie serait donc la sagesse de vivre en trompe-l’œil : car plus on navigue vite et plus tard il semble qu'on atteigne aux derniers rivages.
13:04 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Très beau billet, profond et poétique.
Mais je n'opposerais pas les actifs et les contemplatifs : il me semble qu'on a besoin d'être tour à tour l'un et l'autre. D'autant que pour vous être contemplatif paraît négatif, ce que je ne pense pas...C'est la vraie vie, la meilleure manière d'en profiter...
Toutefois le temps me désespère car j'ai le sentiment très fort depuis quelques années de vivre un compte à rebours...
Écrit par : Rosa | 17.05.2012
C'est un peu le problème de la droite de Sylvester, cher Bertrand (si, si !).
Écrit par : ArD | 17.05.2012
Contemplatif n'est négatif que si l'on est "que" contemplatif, effectivement.
La droite de Sylvester ? Oh, là, ArD, vous voulez m'entraîner à émettre des théorèmes alors que je ne sais que faire de mes théories !
Mettons, alors, que naissance et mort sont deux points d'un même plan, reliés par une droite, bien trop droite à mon goût.
Écrit par : Bertrand | 18.05.2012
Oui mais. Soit un nombre fini de points dans le plan, alors il existe ou bien une ligne qui contient exactement deux des points (ceux que cous citez, par exemple), ou bien l'on considère que tous les points sont colinéaires et qu'ils se trouvent donc sur la même ligne droite. Bref, le chemin n'est pas forcément droit...
Écrit par : ArD | 18.05.2012
Je vais prendre un aspro et je reviens...
Écrit par : stephane | 18.05.2012
Attendez, je vais comme Stéphane prendre un aspirine... ça y est. Oui, oui, mais c'est bien sûr !
Et ça m'évoque ceci, une controverse entre un philosophe et un poète. Je vous concède qu'on peut être à la fois l'un et l'autre. Mais, là, non... Pas dans mon histoire.
Le philosophe : Le trajet le plus court d'un point à un autre est forcément une ligne parfaitement droite.
Le Poète : Non. Pas d’accord. Parce qu'on s'y fait plus chier que sur un sentier qui serpente.
Écrit par : Bertrand | 18.05.2012
Oui, c'est un peu « le problème des draps de lit » qui caractérise la limite du nombre de fois où nous pouvons plier — au cours d'une insomnie — un drap d'une taille donnée dans une seule direction. Si vous décidez de plier votre drap de 4 mm d'épaisseur un première fois, son épaisseur passera à 8 mm. Il ne vous faudra que 40 fois pour aller dormir sur la lune.
Pas de panique, il y a des droites qui sont longues !
Écrit par : ArD | 18.05.2012
Cependant nous parlons de la longueur, de la brièveté du temps, et nous n'appliquons cette mesure qu'au passé ou à l'avenir. Nous disons, par exemple, du temps passé, qu'il est long, lorsqu'il s'est écoulé cent ans ; ou qu'une chose ne se fera pas de longtemps, quand elle ne doit arriver que cent ans après. De même, nous disons pour le passé : " le temps est court ", lorsqu'il ne s'est écoulé que dix jours ; et pour l'avenir, " dans peu de temps ", quand il n'y a que dix jours à attendre. Mais comment peut-on appeler long ou court ce qui n'existe pas ? car le passé n'est plus, et l'avenir n'est pas encore. Ne disons donc pas du passé, " il est long ", mais, " il a été long " ; et disons de l'avenir, " il sera long ". Seigneur, ma lumière, ta vérité ne se rira-t-elle pas ici de l'homme ? Car quel temps passé a été long ? Est-ce quand il était déjà passé qu'il a été long, ou quand il était encore présent ? Il ne pouvait être long que lorsqu'il était susceptible de l'être. Mais une fois passé, il n'était déjà plus ; et s'il n'était plus il ne pouvait être long.
Ne disons donc pas : " Le temps passé a été long " ; car nous ne trouverons en lui rien qui ait été long, puisqu'il n'est plus depuis qu'il est passé. Disons au contraire : " Ce temps présent a été long " ; car il n'était long que pendant qu'il était présent. Il n'était pas encore passé pour cesser d'être, il était donc quelque chose qui pouvait être long. Mais depuis qu'il a passé, en cessant d'être, il a perdu la faculté d'être long.
Les Confessions de Saint-Augustin livre 11
Écrit par : Rosa | 28.05.2012
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