21.02.2012
Une nouvelle
Il n’y a que les imbéciles qui n’écrivent que des mauvais textes, pour se croire infaillibles et s’offusquer de ce qu’on leur en fasse la critique. Des gens qui n'existent que lorsque dégoulinent les compliments. Peu importe, dès lors, que ceux-ci soient sincères ou pas.
Le texte que je publie là, donc, s’est vu refusé par un éditeur que je connais bien et avec lequel j’entretiens d’amicales relations, Antidata, sans que la qualité de son écriture soit mise en cause. Ils ont jugé que je traînais trop et que j’étais un peu hors sujet, le récit étant destiné à être intégré dans un ouvrage collectif dont le thème était «Le football ».
Bon, tant pis... Ça ne fait pas forcément plaisir, mais écrire c’est aussi casser beaucoup d’œufs pour faire bien peu d’omelettes et cela n’altère en rien ma collaboration avec Antidata. Olivier Salaun, qui préside aux destinées de cette maison d’édition, m’écrivait avec juste raison, je crois : «en te lisant, j'ai eu l'impression que ce thème-là n'était pas pour toi, comme les précédents, une source d'histoire et d'émotion très exploitable. »
Je vous offre donc ce petit texte, que j'ai fragmenté en deux épisodes, et je m’en retourne à la rédaction d’un autre manuscrit, entamé, lui, il y a quelques semaines à peine. Forcément plus dans mes cordes, puisque j’en ai choisi le thème.
Ce qui, hélas, ne signifie pas qu'il sera bon.
Mais, auparavant, sur un tout autre sujet et avant de vous laisser à votre lecture, je ne puis résister au plaisir de vous inviter à rire ici, même jaune, car le fond du problème y est énoncé sans ambages, et ici, le texte très bien documenté d'Yves Letort, suivi de la magistrale démonstration de Grégory Haleux quant aux qualités de traducteur de ce foutu François Bon.
Dans cette misérable affaire, le scandale de la voracité n'est donc pas forcément du côté qu'on voudrait bien nous le faire croire. Il n'y a que les disciples de la fausse conscience qui, comme d'habitude, s'effarouchent dès que le maître à agiter sa clochette : Effarouchez-vous !
ENTRE CHEVAUX ET BOURRIQUES
A deux ou trois cent mètres environ des prairies riveraines du Bug, s’alignent de part et d’autre de la rue Piłsudski, les premières habitations, le plus souvent en bois, de Janów Podlaski, éponyme du premier évêque des lieux, Jean, Jean de Podlachie exactement.
La bourgade, qui compte aujourd’hui un peu plus deux mille âmes, fut autrefois une ville, une ville florissante même, si l‘on en croit le torse légèrement bombé de quelques historiens locaux. C’est sans doute vrai puisqu’elle qu’elle fut donc un évêché, en témoigne, outre son nom, l’église dressée sur la place dite centrale et qui est, en fait, une cathédrale.
Mais il faut que ce soit le dit. Parce que de prime abord pas grand-chose, ni dans son architecture ni dans ses dimensions, ne la distingue d’une église paroissiale ordinaire. Cette mémoire-là est donc essentiellement catholique. Si vous arrivez ici en visiteur et si on commence par vous faire l’éloge de La ville de Jean, celui qui fut évêque et qui dota la ville d’une cathédrale, c’est bon, vous êtes en présence d’un pour qui l’histoire, c’est d’abord l’histoire de l’Église. Ce qui n’est pas faux du tout du tout et ce qui vaut, d’ailleurs, pour à peu près l’histoire de l’Europe toute entière.
Un autre cependant, tourné vers un passé plus récent ou animé de dispositions un tantinet plus laïques, vous parlera d’abord de la première constitution née en Europe et inspirée des idées révolutionnaires françaises. Mal gré qu’il en ait, il ne pourra cependant pas contourner Rome : Adam Naruszewicz en effet, philosophe, poète, historien, qui fit – c’est important de le souligner puisque vous êtes un visiteur français - ses études chez les jésuites de Lyon, était un évêque et participa, ici même, oui monsieur, ici à Janów Podlaski, à la rédaction de la constitution du 3 mai 1791, tellement importante dans l’esprit du peuple polonais que ce 3 mai est aujourd’hui notre 14 juillet à nous.
Votre hôte, ou votre guide, vous conduira alors, c’est quasiment certain, par un sentier de sable musardant sous de vénérables tilleuls plusieurs fois séculaires, devant un petit monument de pierres en forme de dôme, plus grand mais malgré tout comparable à ceux qu’on voit encore, quoique de plus en plus rarement, le long des vieilles routes de France, et qui jadis servaient d’abris aux cantonniers. Adam Naruszewicz avait fait bâtir là cette minuscule retraite pour venir y méditer, écrire et réfléchir aux malheurs de sa patrie asphyxiée, la gorge prise entre les serres du tsar de toutes les Russies.
Janów était alors russe, vous renseignera votre guide, en montrant d’un geste vague la Biélorussie, de l’autre côté de la vallée du Bug, au-dessus de laquelle vous verrez sans doute tournoyer avec élégance quelques vanneaux huppés ou, avec un peu plus de chance, un aigle pomarin.
Mais peut-être tout ceci vous ennuiera-t-il un peu, alors peut-être réprimerez-vous, par pure courtoisie, un petit bâillement. Car vous êtes venu jusque là, non pas pour marcher sur les pas d’une ancienne célébrité de Janów, mais pour rencontrer sa célébrité présente. C’est votre amour pour les chevaux de race, les pur-sang arabes aux galbes princiers, au port altier à nul autre comparable, qui vous a conduit ici.
Des chevaux ? Mais qu’est-ce à dire encore ? Que viennent faire ici des chevaux ? Ne sommes-nous pas dans un récit censé se dérouler peu ou prou autour du football ? Peut-être l’auteur a-t-il mangé la consigne, comme on dit, et s’est-il emmêlé les crayons dans une partie de polo ?
Non point. Minute, minute, aimable et bouillant lecteur ! Nous y viendrons en temps voulu, au football. Pour l’heure, le visiteur de Janów se dirige par une fière allée bien ombragée, vers le haras le plus coté de Pologne et peut-être même d’Europe. Il aperçoit déjà, à travers le feuillage épais des buissons, un peu à l’écart de la bourgade en descendant vers la rivière-frontière, l’alignement des écuries blanches et vertes, les enclos et les prés où caracolent de superbes chevaux, l’encolure hautaine, la queue relevée en arc de cercle et d’un trot si léger qu’on dirait que leurs sabots ne touchent pas terre.
Oui, Janów est connu dans toute la Pologne, et bien au-delà, pour ce haras et c’est là qu’affluent, chaque année au mois d’août, les éleveurs et les amateurs les plus fortunés du monde, pour deux journées d’enchères, aux montants vraiment astronomiques. Le Président de la République en personne honore souvent la manifestation de son auguste présence et si Janów et sa cathédrale vous ont un peu agacé, trop tournés vers l’histoire religieuse à votre goût, vous apprendrez de la bouche de votre accompagnateur que le haras a lui aussi son pape, mais du rock and roll celui-là, en la personne de Charlie Watts. Chaque année, le célébrissime batteur vient en effet ici pour y acquérir, parmi les spécimens les plus élégants et les plus recherchés, quelques pur-sang arabes.
Je soupçonne même certains visiteurs de se rendre à ces journées d'enchères non pas pour les chevaux, aussi magnifiques fussent-ils, mais en nourrissant l’espoir d'apercevoir - ne serait-ce que de loin et très brièvement - dans la foule des connaisseurs ou sur les gradins réservés VIP du manège où toutes ces splendeurs chevalines sont présentées, la crinière blanchie sous le harnais du Rolling Stone, véritable icône des années soixante-dix.
Personnellement, je ne suis jamais allé à cette grande kermesse annuelle du haras de Janów. Charlie Watts, je le vois tous les ans en photo sur les catalogues édités immédiatement après la vente aux enchères, dans le journal local, sur le site internet du haras, et, toute l’année s’il m’en prenait fantaisie, je pourrais le contempler à mon aise sur les murs du restaurant où il a dîné, comme dans les couloirs de l’hôtel où il a dormi… Il caresse toujours les naseaux d’un splendide étalon ou il flatte une croupe. Et il sourit. Les légendes sourient toujours quand elles sont occupées à leur entretien.
Je ne vais donc pas à la kermesse, parce que je n’aime ni l’anonymat tapageur des foules, ni les lieux de rendez-vous des grosses fortunes, ni les étoiles quand elles brillent ailleurs qu’aux firmaments… En revanche, j’aime les chevaux. Non pas que je sache les monter ou conduire un attelage, non plus que je sois un enthousiaste des courses ou des prouesses techniques des concours hippiques, encore moins un amateur de polo ! Non, rien de tout cela. Je les aime de loin, les chevaux, quand ils ne servent à rien, sinon à brouter un morceau de paysage. Par pur esthétisme. J’aime la puissance gracieuse de leurs mouvements, j’aime l’orgueil de leur maintien, surtout là, à Janów, où naissent et grandissent les plus raffinés d’entre eux. J’aime ce qui peut surgir d’impétuosité quand ils s’élancent au grand galop et j’aime aussi leur odeur, sauvage, l’odeur du foin, de la paille, du crottin, de la sueur animale. L’odeur des râteliers aussi, qui me ramènent très loin, vers les fermes poitevines de mon enfance, aux premiers matins du voyage…
Et c’est surtout l’hiver, saison où les paysages ne sont revêtus que de l’essentiel, que je viens rêvasser ici, parmi les chevaux, les allées, les prairies et les écuries d’une irréprochable tenue. Ce haras, en outre, est lié - même si c’est de façon peu glorieuse - à l’histoire de mon pays. La construction en fut en effet ordonnée par le tsar en 1817 car, après les invasions successives du conquérant au célèbre bicorne, l’est de l’Europe n’avait pratiquement plus un seul canasson debout. Et une région sans canasson, à cette époque-là, c’était une région ouverte, à découvert, sans défense, à la merci de la moindre agression.
A ce propos d’ailleurs, je suis assez perplexe devant les détours inopinés qu’emprunte parfois l’histoire : on voulait ici remonter une armée, s’occuper de défense nationale, et on en est venu à faire œuvres d’art, à soigner, bichonner, sélectionner, améliorer la silhouette et l’allure, jusqu’à la perfection, d’animaux qu’on destinait d’abord à être réduits en charpies sanguinolentes sous les coups de sabres et le feu nourri des canons.
La suite demain...
10:02 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
C'est vrai qu'on ne voit pas apparaître (encore) le thème, mais, dans l'absolu, c'est vraiment très bien écrit.
Écrit par : george | 21.02.2012
Faut toujours relativiser l'absolu... Mais je vois ce que vous voulez dire, je plaisante.
Merci en tout cas
Écrit par : Bertrand | 21.02.2012
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