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06.02.2012

L'offensive

littératureTout contre le mur de la grange, celui exposé au sud, avec devant moi la forêt congelée dans son silence, j’ai posé ma tête et fermé les yeux…Douceur du soleil au plus haut de sa course quotidienne et qui distille généreusement ses moins 18 degrés, quand les ombres de la  nuit étaient descendues à moins 30...
Dans mes yeux fermés valse une lumière orange peuplée de petites figures, des traits comme des bacilles avec des trous, et qui tournoient… Il fait bon. J’imagine entendre pépier un oiseau. Il faut rentrer très vite, l’air bleu est un glaçon qui vous momifierait sur place !
Le soleil d’ailleurs bascule très vite. Déjà, il effleure les premières cimes…Il a joué son rôle d'illusionniste, il fout le camp dans la nuit... La neige ne scintille plus et le thermomètre dégringole.

Le matin même, j’avais convoqué deux joyeux gaillards pour qu’ils colmatent une légère fissure, par où s’engouffrait un peu d’air. Mais un peu d’air à moins 25, c’est déjà une tempête !
Ils étaient arrivés vers dix heures, mes gars, tranquilles comme Baptiste. Ouf, que je m’étais réjoui, les voilà enfin ! En un quart d’heure l’affaire sera réglée ! Mais les deux joyeux lurons étaient transis…Oui, qu’ils ont dit, pas de pot ! Le chauffage de la voiture est  en panne… Aie, aie ! En effet…Faire une quinzaine de kilomètres à moins 28, derrière un volant et sans chauffage, il y a de quoi être pétrifiés! Alors ils se sont installés près du grand poêle et de leur caisse à outils ont d’abord exhibé… deux bières ! Qu’ils ont sirotées, là, peinards, en blaguant…Je me suis demandé combien ils auraient sifflé de canettes si on avait été en juillet avec 35 degrés à l’ombre et j’ai ri : cette désinvolture sympathique avait soudain tout relativisé des conditions climatiques. Ils avaient l’air de s’en soucier comme d’une guigne, de l'hiver, et ils plaisantaient !
C’est leur climat, sévère, sans concessions. Ils portent en eux une latitude du berceau, que je n’ai pas encore acquise…N’empêche qu’ils ont bien fait leur boulot, qu’ils ont bouché le bec à ce petit courant d’air de rien - mais en forme de couteau - qu’ils ont sifflé une deuxième bière, parce qu’ils avaient eu chaud sans doute, et sont repartis, joyeux, sur la neige glacée et dans leur petite voiture sans chauffage.


Quand on habite ces latitudes énervées, l’essentiel est donc de ne pas geler...Un camarade autochtone me disait : « L'hiver polonais, c’est la guerre, Bertrand.  Il n’y a pas d’autre issue que de la gagner ! » J’espère bien. J'en ai gagné d'autres. Même si j'en ai perdu bien plus que je n'en ai gagné !
Alors, je n'ai plus fait que ça, faire reculer derrière mes murs les troupes venteuses de l'est sibérien, leur opposer une barricade, les faire fondre au contact de ma maison, les décourager !  Quand l’essentiel  réside dans la conservation du confort initial du corps, tout le reste est parfaitement dérisoire.

Je l’ai souvent dit pour l’avoir bien souvent constaté : l’écriture est un amuse-gueule de gens peinards dans leurs bottes -je n’ai pas dit heureux - qui parlent de la vie et du monde quand tout va bien, mais en disant que tout va mal, parce qu’une écriture qui se respecte ne veut jamais se faire l'écho d’un imbécile heureux… C'est comme les chansons, les tristes sont souvent belles, les joyeuses sont le plus souvent culcul la praline.
On n'écrit un vécu extraordinaire que lorsqu’on est de retour dans l’ordinaire. C’est l’art du décalage, l'écriture.

Et c’est pourquoi, aussi, L’Exil des mots s’est tu pendant une semaine.
Il semble cependant qu’avec moins 20 degrés ce matin, l’adversaire en soit à la recherche de son second souffle. Un peu de répit. Mais... Mais, il refait ses forces sans doute, il recharge ses batteries et annonce pour bientôt une nouvelle offensive.
La terre est passionnante, me disais-je ces jours derniers. La terre me passionne. Les petits voyageurs prétentieux qui sont à son bord, englués dans leur modernité misérable,  courbent la tête et l’échine devant ses sautes d’humeur. Tant qu’il en sera ainsi, nous garderons en nous quelque chose de profondément humain, d’originel, quelque chose du Grand Pan.

Huit jours, donc, que je n’avais mis les pieds sur internet. Si je puis dire… Je lis alors qu’un imbécile de mes congénères, de mes compatriotes même, un qui pète dans la soie, roule sur un salaire mensuel de plusieurs mille d’euros, déclare que les civilisations ne sont pas toutes égales. Je pense alors qu’on est bien, quand des moins 30 degrés vous ferment les portes d’accès au monde…Dès qu’on les rouvre, ces portes, une odeur de merde, d’égouts et de charogne s’engouffre par une fissure. Une fissure qu’aucun de mes deux joyeux bierophiles ne saurait obstruer.
Je me dis que je m’en fous que les civilisations soient égales ou pas. Je n’en connais qu’une, et encore qu’à grand  peine. Comme l’imbécile auteur de cette immondice, d’ailleurs. Ce que je sais, c’est que les hommes ne sont pas égaux devant les rigueurs des latitudes. Ils ne sont pas égaux selon la position qu’ils occupent par rapport à l’inclinaison de la terre. Ils sont plus ou moins pénalisés selon le point où ils sont nés.
J’imagine les Grecs - dont on fait grand cas - ou les Italiens, ou les Portugais, et même les Français, devant dépenser le budget chauffage, entretien et dégagement des routes, des canalisations, des écoles, des lieux publics, secours aux populations, que dépensent chaque hiver les Polonais ! J’imagine mal… Ne leur resterait même plus de quoi se payer un paquet de clopes ! Est-ce que ce truc difforme qu’on appelle l’Europe a pensé à équilibrer ces foutues subventions en fonction des colères climatiques de la terre, devant lesquelles ses contribuables ne sont pas tous logés à la même enseigne  ?
Mais il est vrai qu’une Europe qui penserait à autre chose qu’aux marchés et aux ventres replets de ses banquiers, ne serait déjà plus un truc, mais  une communauté.
Mieux vaut attendre le dégel, du coup, que d'attendre ce genre d'approches !

Et puisque je suis bavard ce matin, je vous confie que j'ai une pensée attendrie pour mon  Zozo, chômeur éperdu  qui  s’est envolé vers le Québec aujourd’hui, sous les traits du camarade Jean-Jacques Epron…Cela me fait énorme plaisir d’être lu là-bas… De l'autre côté, quasiment, de la Machine ronde.
C'est peut-être ma vanité qui, envers et contre tout, refuse de geler !

 littérature


12:07 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Par un temps plus doux aujourd'hui au Québec...
Bien a vous

Écrit par : george | 06.02.2012

Alors, amical salut au Québec !

Écrit par : Bertrand | 07.02.2012

L'exil s'est habillé de neuf ! Pas mal cette nouvelle présentation, élégante et sobre...

Écrit par : elizabeth l.c. | 07.02.2012

Comme celui qui, modestement, préside aux destinées de ce modeste bout de toile, Elisabeth !

Écrit par : Bertrand | 07.02.2012

Les commentaires sont fermés.