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12.12.2011

Idę do koscioła

 

b27.jpgLa nuit au dehors, que je vois par les vitres de la fenêtre, est noire et sans étoiles. Il est seize heures. Nous prenons le thé en grignotant des gâteaux tout chauds, faits maison. Délicieux, très fins.
Je discute et plaisante avec le jeune homme. Vingt-cinq ans.
Quand je discute avec un autochtone, c’est toujours avec des phrases squelettiques, le verbe est le plus souvent à l’infinitif, les déclinaisons sont massacrées, la prononciation mise à rude épreuve, l’accent tonique rarement sur la bonne syllabe. Traduit dans ma langue, ça pourrait donner, par exemple :
- Hier, moi aller vers marché et acheter de la pomme très pas mauvaise.
Vous voyez le genre !
Mais les Polonais n’ont pas été habitués à ce qu’on vienne habiter sous leurs cieux - surtout des gens venant de l’ouest - et qu’on y parle, en plus, avec leurs mots. Ce sont eux, qui, au cours de l’Histoire, ont dû aller vers les autres et apprendre
pour survivre un langage nouveau. Alors, ils sont d’une indulgence et d’une gentillesse exquises. Ils sont contents de l'effort fourni et ils savent bien que leur langue n'est pas facile. Ils ne vous interrompent donc pas pour corriger, ils vous disent pas de soucis, je comprends, et c’est très agréable quand on est un cancre de mon acabit.
Ça n’est pas comme avec ces Anglois perchés sur leur accent à la noix comme des coqs sur leurs ergots et qui vous toisent et qui rectifient et qui font minent de ne pas comprendre, et qui sourient sournoisement, jusqu’à ce que vous ne puissiez plus dégoiser un son, retour immédiat à la case inhibition. Les Français, quoique un peu moins, sont un peu comme ça. Ils ne supportent pas bien qu’on massacre leur langage, eux qui ne sont pourtant pas de grands linguistes. Ce sont là orgueils des peuples qui ont eu, à un moment donné, la prétention d’être les maîtres du monde. Les pendules de leur cerveau ne sont plus tout à fait à l’heure !
En Polonais, donc, malgré les incorrections et les approximations, le message passe très bien. Humainement. On ne discute pas de Schopenhauer, certes, ni de La Métaphysique des mœurs, mais on discute de petites choses et on rigole, même. Surtout avec ce jeune homme que je connais bien, toujours souriant et que j’aime beaucoup.
Ce soir-là, tout en plaisantant sur la théière qui, selon lui, a des allures "Versailles"(nous sommes chez ses parents), il regarde fréquemment vers la pendule. Je me dis qu’il doit sortir, rejoindre quelques copains au bistro, à Wisznice. Ou alors, il a une petite copine qui l’attend, le coquin ! Il ne veut pas, aussi agréable que puisse lui être ma compagnie, louper son rendez-vous, et ce n’est pas moi qui lui en ferai grief !
Il se lève, me tend la main, me sourit et me dit :
-  Idę do koscioła…Je vais à l’église….
Quoique je sois habitué au catholicisme prégnant des campagnes de l’est, la situation pour moi change radicalement. Et je reviens à la réalité : je suis un étranger, bien loin de mon pays, bien loin de tout ce que j’ai connu, bien loin de l’esprit dans lequel je me suis fait, bien loin de ma vision des choses du monde.
Le jeune homme ne m’en reste pas moins et ne m’en restera pas moins sympathique.
Une discussion s’en est suivie.
Je dis à D., vois-tu, c’est dans ces moments-là qu’on se sent vraiment un étranger. Je dis qu’en France, un jeune homme de vingt-cinq ans ne partirait pas, comme ça, à l’église…Alors on discute longtemps. D. a
sur moi l’incomparable avantage d’être née ici, de tout comprendre, et de la langue et de la culture, et d’être en même temps très imprégnée par la culture française. Alors elle dit oui, mais tu viens du pays le plus laïc d’Europe et tu vis dans le plus catholique. Forcément, le décalage est abyssal.
Et nous parlons de l’histoire. De l’église polonaise située du côté des opprimés sous la dictature communiste, de l’originalité de ce pays, le premier pays slave à se tourner vers Rome, en 966, et des affrontements qui en ont découlé avec la Russie orthodoxe, du poids de l’église au niveau de l’Etat et dans la tête des gens. Oui.  Tout cela est vrai. Indéniable. Sauf que je fais remarquer que l’église polonaise était du côté des opprimés parce qu’elle-même opprimée par le système collectiviste. Sinon, quand elle est du bon côté du fusil, les opprimés qui sont mis en joue, ça n’est pas vraiment son affaire…Au besoin même, elle appuierait volontiers sur la gâchette. Le sabre et le goupillon, etc.
Et j’évoque la France non pas en tant que fille aînée de l’Eglise, comme on se plaît à le dire, mais en tant que bras armé de l’Eglise dans la christianisation du monde. Je parle de dix siècles de servitude exercés sur le peuple, dix siècles de dîmes, de richesses, de spoliation, j'évoque les jeunes filles découvertes à la Révolution dans les couvents où elles avaient été enfermées pour servir de jouets aux perversions sexuelles de la hiérarchie ecclésiastique…Je parle de l’affreux Richelieu.
D. sait tout ça aussi bien que moi. Nous sommes d'accord depuis longtemps là-dessus. Nous ne discutons pas de Dieu. L’idée de Dieu n’a strictement rien à voir avec l’église. Nous discutons du poids historique d’une institution qui, pour moi, tout empreint d’éducation et de culture judéo-chrétienne que je sois, est une institution totalitaire.
Nous discutons de la même église, mais nous en évoquons une histoire différente, parce que déroulée sous une autre latitude historique et géographique.

Et de quel droit jugerais-je l’histoire des autres, ai-je pensé bien plus tard ?
Du haut de quelle vérité condamner ce jeune homme qui file à l’église dans la nuit froide et noire ?
Du haut de la vérité de ces intellectuels, ou pseudo intellectuels athées, qui trouvent leur religiosité dans d’autres espaces, dans d’autres mensonges, dans d’autres leurres, avec la copie conforme de l’esprit totalitaire de l’église comme mode d’appréhension
inversée du monde ?
Le contraire d’un contraire revient toujours, tel un boomerang, à son point de départ initial.

Et combien de ces fiers athées, par ignorance ou complicité, ont donné leur caution morale et idéologique aux communistes de Moscou, assassins autant des anarchistes que des chrétiens, affameurs de peuples et briseurs de rêves ? Combien ?

Je suis athée. Je crèverai athée. Je n’ai pas dit matérialiste, j’ai dit athée. Je crèverai avec la détestation de l’église-institution. Mais je ne jetterai plus la pierre aux convictions et habitudes sociales qui ne sont pas les miennes. Qui se situent même aux antipodes de mes ressentis.
Car en fuyant cette erreur vieille de plus de deux mille ans, dans combien d’erreurs nous sommes-nous fourvoyés nous-mêmes ? A combien de menteurs, d’escrocs, d’usurpateurs, de voyous de la conscience, avons-nous, sinon fait allégeance, du moins foutu par faiblesse et lâcheté une paix royale ?
Aurons-nous le courage de dire que nous ne sommes pas plus avancés que l’obscurantisme que nous fuyons de nos belles ailes d’hommes libres et que nos mots ne sont en la matière que piaulements d’impuissants à faire cesser les aliénations ?

Alors va, jeune homme, dans la nuit noire et sans étoiles … Nous partagerons encore le thé et le gâteau et rirons encore de choses simples. Dans mon soi-disant propre camp, j'ai vu et je vois, j'ai lu et je lis encore tous les jours, des comportements et des truismes bien plus hallucinants et bien moins naifs.
Bien moins francs, tout compte fait.

Image : Philip Seelen

 

13:12 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Il sonne juste et il est très beau ce texte, Bertrand. Et je suis heureux de le lire sous votre plume. Je comprends pour ma part ce que vous dites de l'église-institution, criminelle et bornée. Il faudrait même rajouter perverse, comme tous partis. Et je sais aussi ce que ce jeune homme trouve dans cette église, et qui ne relève pas de l'institution, et qui le relie à tout autre chose même, dans lequel vous avez raison de le dire se trouve aussi son pays. Et qu'il appelle Eglise avec la majuscule.

REPONSE DE BERTRAND :

Merci, Solko. Je crois que les petites situations de la vie quotidienne, impromptues, sont des grilles de lecture du monde et des autres beaucoup plus justes que les grandes bibles de l'idéologie, toujours les mêmes, toujours les mêmes réponses automatiques, toujours les mêmes erreurs érigées en vérités définitives, incontournables, toujours les mêmes "savantes" niaiseries.

Écrit par : solko | 12.12.2011

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