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09.11.2011

Grands écrivains : souvent des gens à contretemps

une-barricade-19-mars-1871-arnaud-durbec-450pix.jpgL’histoire nous offre à contempler des kyrielles d’écrivains fourvoyés dans une interprétation erronée, voire complètement fallacieuse quand elle n’est pas franchement horripilante, de leur époque.
Je m’en étonne encore souvent. Fort naïvement, car il n’y a rien d’étonnant à ceci. En effet, pourquoi l’écrivain serait-il mieux éclairé que quiconque pour comprendre son monde ? Son art, c’est d’écrire et son destin, conséquemment, c’est bien d’être à contretemps. Je parle de l’écriture réelle, non militante, ce qui exclut d’office les exemples - qui sont légion - tels que celui, contemporain, de Bernard Henri Lévy qui, à chaque fois qu’il prend une position politique, est un peu comme un souffleur de théâtre qui se serait trompé de pièce, déroutant en même temps l’acteur et le spectateur.
Je ne dis cependant
pas qu’on écrit ex cathedra. Je dis, au contraire, qu’on trempe sa plume dans la matière du monde, que ce monde en est l’encre. Néanmoins, dès qu’on se met en devoir d’écrire sur la qualité de cette encre, on n’est déjà plus dans son élément d'écrivain, on plonge la tête dans un encrier, on s'y noie, on sort du champ d’application de l’écriture, on est autre chose qu’un écrivain, une espèce de journaliste partisan peut-être, et les résultats qui sont légués à l’histoire sont souvent déroutants.
Les grands évènements d’un temps donné ne sont perçus dans leurs tenants et leurs aboutissants qu’une fois qu’ils se sont tus, comme l'ouragan n'a de stigmates vraiment visibles qu'une fois le ciel redevenu serein. Quand les conséquences sont tangibles et l'impact bien réel sur la vie des hommes. C’est avec ce matériau-là, avec ce contretemps, que l’écrivain travaille. S’il tente d’en pétrir du plus frais, il ressemble aussitôt à un astronome du dimanche qui, ayant aperçu dans le ciel de la nuit filer une étoile, essaie sur-le-champ d’en calculer la vitesse. C'est une des raisons pour laquelle, je tiens Les Paysans pour le maître livre de Balzac, parce que, comme il le dit lui-même, «c’est là une étude de mœurs», pas un roman, même si ce jugement vaut pour l’ensemble de la Comédie humaine. Michelet, en tant qu’historien, commentait le livre en ces termes : une œuvre admirable, avec un souci poignant du détail. Et Balzac travaillait là sur une époque qui lui était antérieure, remontant aux bouleversements de 1789-1793, dont, spécialement, le morcellement de la propriété foncière. J’y reviendrai à propos d’un tout autre sujet. Ce qui compte ici, c’est que l’écrivain place son écriture sur un tableau achevé et ne se mêle pas, sinon en filigrane, de porter appréciation politique.

Il en va tout autre chez la grande majorité des écrivains du XIXe siècle, dont la fin vit le peuple de Paris littéralement assassiné, égorgé, éventré, violé, femmes, enfants, vieillards, malades et combattants vaillants, par les Versaillais commandés par d'infâmes bouchers, Adolph Thiers et Mac Mahon en tête. Ecrivain ou pas, il fallait quand même avoir quelque chose dans le cœur et dans les yeux qui ressemblât fortement à de la merde, pour ne pas sentir à quel point cette répression sauvage, barbare, sans discernement, bousculait toutes les données de la cause humaine.
Il me semble qu’écrivain à cette époque, soit, délaissant l’écriture, je serais monté sur la barricade, soit je me serais terré à la campagne ou ailleurs en prenant soin de bien fermer ma gueule. Vous m'opposerez, avec juste raison, que ces affirmations ne mangent pas de pain, l'histoire étant révolue et toutes suppositions de cet ordre participant alors d'une généreuse autofiction. Certes. Mais ce que je puis dire avec certitude, c'est qu'aujourd'hui, dans ce que je suis vraiment, je ne tolérerais pas que mes pires ennemis soient traités avec un dixième de cette cruauté et de cette brutalité avec lesquelles on réprima le peuple de Paris en 1871.
Alors, quand on sait les témoignages des grands de la littérature sur cette époque précise, on reste quand même sur le cul. Et je me dis (permettez-moi de pousser
un instant l'immodestie jusqu'à l'inconvenance) que je préfère dès lors être l’auteur de Zozo, chômeur éperdu et m’appeler Redonnet plutôt que d’être l’auteur de Madame Bovary ou des Paradis artificiels et m’appeler Flaubert ou Baudelaire, pour ne citer que ces deux exemples.
Ecoutons le grand, l’admirable, le génial susdit Flaubert dans une lettre à Georges Sand, qui évidemment partageait les mêmes sentiments désastreux. Je vous laisse apprécier le style et, derrière ce style, l’âme noire d’un crétin pire que l’UMP, le FN et le PS réunis pourraient nous en produire aujourd’hui :

"Je trouve qu’on aurait dû condamner aux galères toute la Commune et forcer ces sanglants imbéciles à déblayer les ruines de Paris, la chaîne au cou, en simples forçats. Mais cela aurait blessé l’humanité. On est tendre pour les chiens enragés, et point pour ceux qu’ils ont mordus." (lettre à George Sand, le 18 octobre 1871).

En dépit du fait qu’il soit l’auteur d’incontestables chefs-d’œuvre que jamais nous n’égalerons – moi, du moins –je trouve que la postérité a été bien tendre avec ce Flaubert, en ne faisant pas généralement mention de ces lettres à l’évocation de son nom. On en a bien moins pardonné à Céline ! Le sieur Flaubert ayant voulu juger de son monde, on le voit, s’est un peu trop penché sur l’encrier et a fini par tremper sa plume dans un sang dégoûtant.
Entendons encore, bien avant la Commune, Baudelaire, le pathétique, le sensible, le sublime, l’incomparable Baudelaire, celui qui a fait école et dont le nom resplendit au frontispice de notre culture. Ecoutons-le, le poète maudit, celui qui a tant souffert de la noirceur de l'âme humaine. Ecoutons-le à propos d’un sergent de Ville en train de massacrer à coup de crosse un émeutier :

« Crosse, crosse un peu plus fort, crosse encore, municipal de mon cœur, car en ce crossement suprême, je t’adore et je te juge semblable à Jupiter le grand justicier. L’homme que tu crosses est un ennemi des fleurs et des parfums. (…) Crosse religieusement les omoplates de l’anarchiste. » Charles Baudelaire  - Salon de 1845 –

« L’homme que tu crosses est un ennemi des fleurs et des parfums. » C’est à vomir ! Et c’est à se demander quelle était la nature des parfums et des fleurs dont s’enivrait l’âme si tendre du grand  pauète ! Une charogne, peut-être ?
Toute la fine fleur, justement, de notre patrimoine, fine fleur que nous louons et à laquelle nous vouons admiration béate et reconnaissance, s’est honteusement compromise face la misère des gens, de Zola et Edmond Goncourt à Théophile Gautier – un des pires - en passant par Georges Sand, et même le vieil Hugo réfugié à Bruxelles et qui déplorait les incendies dans Paris comme étant le seul fait des Communards.
Seuls sont restés dignes Rimbaud, Verlaine et Vallès. C’est peu.

Que dire de tout ça, sinon ce que j’en disais au début ? Car tout cela n’enlève évidemment rien à l'indéniable valeur littéraire des textes produits par tous ces gens. Que dire, donc, sinon que l’écrivain est, le plus souvent, bien à côté de la plaque et ne devrait jamais mêler son tumulte aux tumultes du monde.
Ou alors franchement. Pas le cul entre deux chaises. C’est ainsi que le firent Lissagaray et bien d’autres. Mais la postérité n'a pas daigné posé ses lauriers sur la tête de Lissagaray parce que, confontées à des
œuvres telles que Germinal, l'Education sentimentale ou les Fleurs du mal, la profonde honnêteté et la loyauté d'un Lissagaray ne sont sans doute à ses yeux que du pipi de chat.

J’avais aussi fomenté le projet d’écrire sur les engagements des grands écrivains du XXe dans une de ses plus gigantesques et dramatiques erreurs, l'erreur communiste. Ce sera pour un prochain billet. Dans le même esprit. Voir comment certains ont reconnu leur méprise et comment ceux qui n'ont pas fait cette démarche, tout en étant de grands écrivains, n'en sont pas moins restés les affreux complices d'un des systèmes les plus cruels et les plus pervers que l'esprit humain n'ait jamais enfanté.
Quant au XXIe, je me garderai bien d'en parler, ayant le nez dessus et n’y voyant pour l'heure que du feu.

15:10 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Damned ! J'ai lu plein de Balzac mais pas Les Paysans. je vais me jeter dessus !

Je savais plus ou moins que Flaubert avait dit des choses ignobles sur la Commune, mais ce que tu cites dépasse l'idée que j'en avais. On n'est pas loin du cas Céline...

Je suppose que dans ce prochain billet dont tu parles, tu évoqueras Roger Vailland. Quel meilleur exemple que lui d'engagement dans cette "erreur communiste"... Comment il y est entré et comment il en est sorti. Et le stigmate qu'il porte depuis... La moitié des gens détestent Vailland parce que communiste (même si cette étiquette demande à être précisée), l'autre moitié parce que libertin. Combien font l'effort de percevoir Vailland dans sa totalité et avec ses contradictions ? C'est pourtant ainsi qu'il nous parle le mieux. Mais j'arrête, car sur Vailland, je deviens facilement intarissable...

REPONSE DE BERTRAND

Oui, pour Vailland, bien sûr...C'est prévu. Des pages des "Ecrits intimes". C'est là, à mon sens, qu'il en parle le mieux, même si Duc, dans la Fête, en fait état avec son "j'aime" et "je n'aime plus". Si mes souvenirs sont bons.

Écrit par : elizabeth l.c. | 09.11.2011

100 % d'accord avec vous. "Les paysans" n'est pas le plus romanesque, mais le maître livre de Balzac.

REPONSE DE BERTRAND

Un livre époustoufflant. Le moins "romanesque" effectivement. Presque un document historique.

Écrit par : solko | 09.11.2011

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