17.10.2011
Stéphane Beau : Voyage au bout d'une nuit
C’est un univers clos, fait de couloirs, de cloisons pas toujours étanches, de portes verrouillées, de chambres et de gélules aux prises régulières.
C‘est un univers où l’angoisse règne en permanence. Je veux dire normalement, de fait et de raison d’être, ceux qui ont eu le mal heur d’y être un jour gracieusement invités à faire un petit séjour de rééducation autour des normes sociales comprendront au centuple.
C'est donc un tel univers et c'est celui du dernier opus de Stéphane Beau, 23h23, Pavillon A.
Mais l’écrivain est assez subtil pour nous introduire en ces hauts lieux de l’irréalité permanente avec une dimension supplémentaire d’irréalité. D’onirisme même.
A la faveur d’une étrange panne d’électricité, panne d’autant plus immatérielle qu’elle touche même les appareils qui ne puisent pas d’ordinaire leur énergie aux compteurs EDF, tels que les lampes solaires, les portables ou les radios-réveil, trois détenus se retrouvent soudain complètement seuls. Une solitude effroyable : plus un « malade », lits vides mais défaits, plus de personnel, plus rien, plus âme qui vive, sinon eux, et tous les objets du quotidien comme pétrifiés dans un instant de leur utilisation, un peu comme à Pompéi.
On prend peur. On se rappelle qu’au début, Georges, un des rescapés du silence et de l’obscurité, a entendu comme un sourd bourdonnement. On craint alors que le récit ne s’enlise dans une dimension convenue de fin du monde, soudain anéanti par des voyageurs intersidéraux.
On prend peur mais on est vite rassuré. Stéphane Beau a le talent de faire semblant de nous emmener vers un poncif, juste pour que son récit prenne corps et, déroutant, nous ouvre soudain des portes que nous n’attendions pas, celles de la profonde humanité de ces trois êtres mis en présence les uns des autres à la faveur d’un événement qui, d’essentiel, est en train de passer astucieusement au second plan.
Le personnage principal, ici, c’est le noir total, l’obscurité. Car c’est grâce à cette obscurité que se révèlent les personnages, aussi bien à eux-mêmes qu’à celui qui les suit, de pages en pages. Le négatif se fait photo, l’inerte se fait vivant, l’inhumain du début, malade, claudiquant, un peu misérable, prend toute sa dimension humaine, si forte, si désemparée et si chère à Stéphane Beau.
Récit désespéré ou message d’espoir ? Celui qui n’aime plus les hommes parce qu’ils les a trop aimés sans retour, oscille - forcément - toujours entre ces deux pôles contradictoires de l'impossible synthèse.
Comme dans Le Coffret. Il ne tranche pas la question. Il n’y a pas de question à trancher, d'ailleurs...Il y a, par-delà les faits, les lieux et les contingences, la quête toujours puissante d’un bonheur à notre dimension aléatoire.
On sourit aussi avec 23h23, Pavillon A. Dans une situation où tous les comportements peuvent être de mise, sauf peut-être le rire, Stéphane Beau écorche plaisamment les hit-parades de la littérature contemporaine…
Mais je ne peux vous en dire plus sans risquer de me fourvoyer… Parce que, in fine, l’écrivain nous quitte avec un petit air narquois qui semble dire : tout ça, mon vieux, tu vois bien que c’est ton imagination qui vient de le construire.
Il ne s’est rien passé.
Une invite à ne toujours dormir que d'un œil, à peine voilée, en tout cas réussie.
11:56 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Merci !!!
Écrit par : stephane | 18.10.2011
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