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21.09.2011

Lettre à un ami - 8 -

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 Cher Gustave,

Merci de ta gentille lettre et pardonne-moi de n’y avoir fait écho plus tôt. Je suis - quand je ne suis pas, à l'approche de l'hiver, penché sur mes occupations de type néolithique - dans la sauvegarde intégrale de tous les textes de l’Exil des mots, textes qui jusqu’alors étaient dispersés un peu partout dans des fichiers eux-mêmes éparpillés, incomplets, difformes.
Tout relire ainsi ce qu’on a écrit depuis plus de quatre ans est un étrange voyage. Beaucoup à trier, de positif, de neutre et de franchement négatif. Je te dirai plus longuement, bien sûr, lors d’un prochain envoi.

Je voudrais te parler aujourd’hui des mots d’une langue à l’autre, sur le plan  visuel, et de la façon dont ils peuvent s’imbriquer physiquement les uns dans les autres pour former des phrases.
J’ai récupéré, pour exemple, un dépliant de l’Office des forêts polonais, traduit en plusieurs langues, et me suis amusé à comparer la structure des différentes versions dans ce simple slogan :

Familiarise-toi avec les forêts de la Région de Lublin

Ah, je vois bien d’ici ta réaction : c’est plutôt lourd et long pour un slogan de dépliant.
Oui, un slogan de dix mots !
En Anglais, ce n’est guère mieux : familiarise yourself with the forests of Lublin region. Quant à L’Allemand, juge par toi-même : Mach Dich mit den W
äldern des Landes Lublin vertraut.
D’accord, mais écoute en Polonais, trois mots seulement et l’affaire est  bouclée :

Poznaj lasy Lubelszczyzny

Point final. Concision grammaticale sans l’embarras, presque la lourdeur, de toutes nos particules. L’avantage de décliner grammaticalement les mots. Tu me diras, à juste titre, que pour un latin, c’est coton de prononcer ce szcz de lubelszczyzny. Oui, c’est un peu compliqué, effectivement. Tout est dans le chuintement, il y a là deux sons presque simultanés ch et tch. Comme dans szczur, le rat. Tu entends, en fait, ch’tchur.
Jagoda rigole évidemment de mes contorsions buccales, me dit que tout ça, c’est quand même facile à prononcer et, pour preuve de difficultés plus ardues, me montre son livre d’animaux avec un magnifique lew pòłnocnowschodniokongijski.
Ouf ! Tu es toujours là ?
Finalement, mieux vaut, pour moi du moins, prendre son temps et son souffle, et allonger tout ça en un lion du Nord-Est congolais.
Qu’en penses-tu ?

Tiens, je saute du coq à l’âne, par association d’idée quand même, tu sais que Tolstoï ne s’est jamais appelé Léon mais Lion ? Lion Tolstoï, Lew Tołstoj en Polonais qui traduit littéralement le prénom Лев. Толстой  Лев.
En Français on a le culot de dire et d'écrire : de son vrai nom Lev Tolstoï. Une aberration car le v n’existe même pas dans l’alphabet russe.
Au final, je te joins cette image magnifique de notre ami Philip. Parce que pas de mots. La musique de la vie, la musique des sautes de vent, la musique des solitudes, des paysages, des envies de beau. Il y a, dans cette image, quelque chose de lointain, de farouche, qu'aucune langue ne saurait sans doute traduire exactement.
Porte-toi bien.

B

Image : Philip Seelen

15:12 Publié dans Lettres à Gustave | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Eh oui, les déclinaisons permettent d'être plus percutant à peu de frais, mais la traduction qui vise le slogan doit pratiquer l'art de l'ellipse à la faveur du contexte. Ainsi, par exemple, « région » est inutile : on imagine bien que les forêts ne sont pas intra muros. Aussi, je doute que le terme « se familiariser avec une forêt » soit approprié.
Puisqu'il s'agit d'un prospectus diffusé par l'office du tourisme, on préfèrerait : « Fais connaissance avec les forêts de Lublin ». Car dans l'histoire, il me semble que le verbe employé en polonais nécessiterait un préfixe pour traduire réellement le fait de se familiariser, de s'habituer.

Ce qui m'a mis la puce à l'oreille sur la lourdeur de la traduction est bien la traduction allemande. Ouille !

Écrit par : ArD | 21.09.2011

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