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01.08.2011

Lettre à un ami - 1 -

 P7210092.JPGCher Gustave, 

Mon voyage sur tes lointains rivages se termine et, n’ayant eu l’heur de t’y croiser,  je t’en confie quelques bribes.
Côté ciel, ce fut à peu près constant dans la morosité. Je pensais pourtant qu’ayant à parcourir plus de 2500 km vers le sud-ouest et à travers quatre pays - la Pologne, le Nord de la Tchéquie, l’Allemagne et la France - j’allais rencontrer différentes humeurs atmosphériques et forcément découvrir quelque part un coin de ciel plus serein. Que nenni ! Parti sous une pluie battante, je suis arrivé sous d’opiniâtres crachins qui flottaient comme des vagues et suis revenu sous les orages brutaux du climat continental.
Les nuages partout m’ont poursuivi de leur morne assiduité.
Les Sudètes ruisselaient, et, plus loin,  Prague, perle posée, selon Goethe, sur la couronne de l’Europe, était en bruine ; une bruine labyrinthique où je me suis carrément perdu.
L’Allemagne, enchevêtrement monstrueux d’autoroutes encombré des mille et mille non moins monstrueux camions du flux tendu de l’hystérie économique, s’était camouflée sous des brouillards que la Toussaint n’aurait pas reniés.
La France - exception faite pour l’Alsace où la plaine s’enivrait de lumière - la France qui depuis des mois se plaignait de trop de beau temps, m’offrit le visage maussade des jours de pluie.  J’aurais pourtant bien voulu en goûter un peu, moi, de cette sécheresse honnie du laboureur !
Non, je n’ai vraiment pas eu de chance avec les nuages !

Mais foin des paranoïas météorologiques : je n’étais pas parti à la recherche d’un beau temps qui m’aurait bronzé la pia. J’étais parti respirer l’odeur de mon pays et toucher l’épaule bienveillante de quelques amis. Les paysages, qu’ils soient gris, qu’ils soient bleus, qu’ils soient humains ou qu’ils soient géographiques, sont les chambres d’écho des souvenirs et les repères immobiles du temps qui fuit.
J’ai donc vécu là-bas - ici pour toi-  ce que, somme toute, je m’étais proposé de venir y vivre.
Et je me suis étonné de moi-même à Strasbourg : en passant le pont de Kehl, quand j’ai lu cette petite pancarte blanche «FRANCE», les yeux m’ont picoté et…oui, pour tout te dire, sont devenus humides. Ça remontait de loin. Emotion cachée. Insoupçonnée. On a, comme ça, en soi, de petits incendies qui brûlent à feu couvert et qu'un souffle fait crépiter.
Il faut quand même que je te signale une trouée impromptue dans la tristesse du ciel, avec cette journée passée sur l’île d’Aix : du bleu partout, de bas en haut et de haut en bas. Je ne sais cependant quel compte indécis j’ai à régler avec l’Océan. Je le trouve beau, puissant, énigmatique, envoûtant, mais, après une journée passée à le regarder bomber le torse, je m’y ennuie. Il m’ennuie. Je n’ai rien à lui dire de l’intérieur. Ses roulements, ses vagues, ses mouettes, ses algues, ses brumes lointaines, ses sables, ses rochers m’apparaissent très vite d’une affligeante monotonie. D’un décor convenu. L’Océan ne me fait pas rêver longtemps. Je ne l’admire pas. Son orgueil et ses prétentions à l’infini m’agacent. Je ne le respecte, je crois, que comme source première d’éclosion de la vie sur la machine ronde. C’est un respect tout intellectuel. Et ce genre de respect, tu le sais,  ne suffit pas pour aimer durablement.

nouveau document_2.jpgJ’ai parcouru des chemins qui m’étaient familiers. Des chemins deux-sévriens bordés de murailles englouties par les lierres et la ronce. J’aime la ruralité dispersée de ce département. On sent bien que des hommes de chair et d’os y vivent encore. A l’autre bout du pays, dans la région au sud de Paris, les paysages avaient été à vomir d’ennui avec leurs chaumes jaunes, déserts, silencieux, mornes, et leurs routes rectilignes, sans âme, sans arbre, sans mouvement. Des routes artificielles tracées pour ne pas avoir à égratigner un seul poil des immenses propriétés céréalières.
C’est en Deux-Sèvres que je suis allé revoir Jean-Jacques - dont je t’ai déjà parlé -lire publiquement Zozo pour l’ouverture d’un festival au bien joli nom, Contes en chemin. La presse locale m’a fait l’honneur de quelques articles. L’un d’eux présente mon Zozo comme un anar des plus sincères puisqu’il s’ignore en tant que tel. Ma foi, ça n’est pas pour me déplaire. Ce livre continue donc sa petite carrière auprès des lecteurs, ce qui me réjouit.

Tout ce temps, je ne me suis pas approché d’internet. Pas envie, d’autres regards à porter. Ailleurs.  Même si je sais bien qu’un écrivain - réel ou prétendu - ne peut guère aujourd’hui faire l’économie d’une présence sur le virtuel… Quoique…Me suis beaucoup amusé des angoisses de Jagoda qui me réclamait à tout bout de champ, à chaque arrêt, sans cesse, une connexion WIFI pour donner à manger à son lapin. Oui, un lapin qu’elle élève sur internet et dont il faut qu'elle nettoie la cage, qu'elle lui donne à boire et tout...…Me suis quand même demandé si on ne vivait pas tous, les enfants et les adultes, dans un monde de fous furieux. Dans un monde qui a réussi à abolir le monde.  Nous aussi, on élève des lapins avec nos blogs et nos sites.
Qu’en penses-tu, toi qui vis très bien sans un blog ?

P8010015.JPGAux antipodes de ce virtuel, il y eut la présentation de mon livre Le Théâtre des choses, à la librairie polonaise du Boulevard Saint-Germain. Très sympathique rencontre avec les éditeurs d’Antidata et un public essentiellement constitué de gens d’origine polonaise. Ce fut un bel après-midi et le livre est très bien fait, très belle police, très beau graphisme. Le plus dur est cependant devant : le faire vivre.
Je séjournais, à ce moment-là, en Normandie. A Balbec, exactement. A la recherche de je ne sais quel temps perdu.
Je t’en parlerai dans un prochain envoi.

Porte-toi bien.
Amicalement

B

11:27 Publié dans Lettres à Gustave | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

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