27.01.2011
Métonymie natale
Avant, la France tenait lieu de métonymie.
Elle désignait un coin de France, des marais et un océan, et, dans ce coin de France, vers ces marais et près de cet océan, surtout, des gens, une dizaine tout au plus, avec lesquels j’avais des liens affectifs.
Des liens ! Quel triste langage ! Je suis lié à…Je suis attaché à…Attaché ? dit le loup.
Il faut n’avoir jamais été réellement attaché, lié, pour se dire lié à ou attaché à quelqu'un qu'on prétend aimer.
Quand on a des liens et qu'on est en bonne santé, on n'a qu'une hâte : les briser.
Ma France métonymique était un long pointillé de mon histoire confuse. Un enjambement d’un vers à l’autre.
Difficile de se faire comprendre quand on emploie des métonymies sans avertir. Dire un pays pour dire « moi », ça prête terriblement à confusion quand on n’est pas Louis XIV. Il m’est arrivé dès lors de dire à un Polonais, par exemple : en France, il neige tous les quinze ans. Il me regardait avec des yeux incrédules. Lui, savait bien que la Lorraine, le Massif Central et le Mont Blanc, c’était la France.
Pas moi.
Ou alors de prétendre qu’en France on n'allait plus à la messe pour dire que je n’y avais jamais mis les pieds. Pour un peu, la métonymie devenant égocentrisme délirant, j’aurais bien pu affirmer que le baptême, ça n’existait pas chez nous-autres.
Trop penché sur mon nombril. Prisme déformant/déformé de l’exil qui réduit l’espace commun à son seul arrachement.
Mais que dire à présent ? Les émotions affectives se sont grippées, l’absence les a démolies comme de vulgaires châteaux de sable, vous savez, cette absence proverbiale dont on dit qu'elle embrase le grand et éteint le petit…
L’océan s’est éloigné en images, les marais aussi. Les images n’ont ni odeur ni rumeur. Je ne sais plus trop ce que je désigne par «La France».
La métonymie n’a plus la saveur exquise de la mémoire. Il me faut une autre figure de style.
La culture ? Les racines ?
Bien sûr. Poncifs, raccourcis, redondances du pédantisme pour dire un « je » dont on ne sait pas trop soi-même où il se trouve. Les chats ne font jamais des chiens, certes. Je serai toujours un Français. Je pense, j’écris et je parle en français. Un Français sans France. Un loup sur la plaine et qui ne sait plus quels sentiers mènent à la forêt.
Volontaire, l’exil prend tout son sens quand changent les figures de style du souvenir.
Parce qu’on ne vient pas d’un pays, en fait. On vient d’un endroit avec une valise fabriquée dans et par cet endroit.
La métonymie s’est alors faite prosopopée. Je fais parler une chose…
Il y a des échos bien sûr. Mais les échos ne réagissent que lorsqu’on parle à des parois ou à des murs.
Vient un temps où l’on se lasse.
L’écriture, là, comme en ce moment, de toutes façons, en est une, prosopopée. Elle fait parler une archéologie, un intérieur, un autre qui se tait, une émotion du monde qui n’est pas toujours tangible. Et versatile, en plus. Un écrivain qui ne parlerait que de lui - comme je suis en train de le faire mais qui le ferait mieux - aurait sans doute le prix Goncourt - ça s’est déjà vu il n'y a pas longtemps - mais est-ce que c’est vraiment ça, de la littérature ?
J'en doute. Je doute de tout.
La France est peut-être devenue littérature.
Et ces garçons de là-bas, que je lis avec bonheur, là, là et là, et plein d'autres encore, sont sans doute des exilés qui s'ignorent.
Ecrire c'est probablement être partout et nulle part chez soi.
10:22 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
L'exquisité du souvenir serait à la métonymie natale ce qu'est le divorce de soi à l'écriture.
Une métonymie sans saveur : un lexème natal ?
Écrit par : ArD | 27.01.2011
Purée, les commentaires de ArD. Je me régale, comme à te lire, Bertrand.
Écrit par : Michèle | 28.01.2011
"Je suis chez moi nulle part et chez moi bien plus qu'ailleurs."
Phrase que j'aimais me répéter jadis, sans doute lue quelque part, j'ai oublié où...
Ce qui est beau dans ce texte, c'est que derrière la métonymique figure de l'habitat et la "prosopopique" sentence de l'exil - bref, derrière la rhétorique - se blottit une expérience. Qui, en effet, relève du langage dans lequel nous sommes nés, et du seul langage.
Écrit par : solko | 28.01.2011
Dans tout ça, j'ai quand même une chance, une grande chance : C'est d'avoir des lectrices et des lecteurs au plus près des textes.
Que demandez de plus à l'écriture sinon la joie ( au sens large comme une mer) de ses lecteurs et trices ?
Amitiés hivernales
Écrit par : Bertrand | 28.01.2011
«... sinon la joie (au sens large comme une mer) de ses lecteurs et trices ?»
La lectrice risque de se trisser devant une telle concentration sur le texte, en tant que signe, qui, par nature, est incompatible avec sa compréhension.
(Sourire en coin)
Écrit par : ArD | 29.01.2011
"Le monde est fait de mots et les choses aussi". J'ai pensé à Cortazar en lisant votre texte. C'est ainsi que nous pouvons habiter les lieux, tous les lieux, et que nous arrivons à les faire traverser le temps et l'espace. "Les images n'ont ni odeur ni rumeur", écrivez-vous : c'est très exagéré, parce que c'est pourtant ce qui "circule" quand on vous lit, l'odeur, la rumeur. Le fait que votre "sol" soit de phrases et de textes ne doit pas vous croire que vous êtes loin. Bien au contraire...
Quant à la métonymie, je crois qu'elle a une importance beaucoup plus grande que la métaphore. Elle est essentielle. Et même si vous croyez que vous glissez vers la prosopopée (ce qui serait un peu une réification du monde), le lecteur lui n'en est pas convaincu. Pas celui qui prit tant de plaisir à lire "Géographiques", en tout cas...
Écrit par : nauher | 31.01.2011
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