25.11.2010
Colères sans objet contre objets
J’ai toujours eu un problème avec le monde des objets.
Avec le monde des humains aussi, mais là, au moins j’ai des interlocuteurs doués de parole et de mouvement. Avec eux, dans les situations conflictuelles, il y a au moins un écho. Même leur silence résonne très fort.
Avec les objets, dont l’autre pleurnicheur bourguignon se demandait s’ils avaient une âme attachante, il n’y a qu’un protagoniste, soi-même, à l’intérieur, et, pour garder quand même un peu de tenue et ne pas sombrer dans la folie, force m’est bien alors de leur prêter, sinon une âme, du moins un comportement.
Et c’est le plus souvent un comportement détestable.
Les objets se mettent quotidiennement en travers de ma bonne humeur.
A mes petits projets de tous les jours, ils opposent fréquemment leur force d’inertie, leur muette imbécilité, la sournoiserie de leurs petites dimensions, la complexité de leur utilisation.
Ouvrir une poche de café, au saut du lit, est pour moi un cauchemar.
Elle résiste, se durcit, refuse de livrer son secret, se rebelle, se replie…Un bout se déchire enfin. Mais il y a un autre bout derrière. Un vrai labyrinthe.
Je finis toujours par prendre un couteau et par l’éventrer, cette satanée poche ! Le bel arôme matinal se répand alors, mais la poudre aussi…Colère.
On accuse gentiment ma maladresse. Moi aussi, je m’accuse et je m’auto-incendie.
Mais l’autre jour, tout de même, j’ai acheté une poche de café avec, dessus, le mode d’emploi bien indiqué pour l’ouvrir. Une poche de café didactique. Et je me suis dit que si la marchandise prenait de telles précautions, c’est que c’était vraiment difficile pour tout le monde d’ouvrir son café.
Ça m’a un peu rassuré.
Quand je bricole, la guerre est totale et sans merci.
Il y a une quinzaine de jours, en posant de la laine de verre dans mon grenier, j’ai passé plus d’une demi-heure à chercher le grand couteau qui me servait à la découper.
J’ai regardé partout, je me suis mis à quatre pattes, j’ai fouillé dans tous les recoins, j’ai investi avec une lampe de poche tous les endroits où j’étais passé, j’ai soulevé un rouleau entier que je venais pourtant d’installer avec mille peines, voir si ce connard de couteau ne s’y serait pas glissé.
Gorge serrée, fureur totale, cris furibonds. Je devenais certain que ce couteau était planqué là, tout près, et qu’il riait à lame déployée de mon désarroi.
J’ai fini par le découvrir. Confortablement installé sur une poutre. Je l’ai balancé rageusement par terre. Il a rebondi, s'est glissé entre deux planches. J'ai failli le perdre une deuxième fois.
Après, ça allait mieux…
Je pourrais multiplier les exemples à l’envi. Les meubles dans lesquels je me cogne, les tapis dans lesquels je me prends les pieds, les escaliers roulants que j’emprunte dans le mauvais sens…Une fois, j’ai perdu mon paquet de cigarettes…Là, ça tournait à la rage et ça a duré un moment et plus ça durait plus je haïssais ce paquet de cigarettes et plus j’en avais besoin.
J’ai fini par le découvrir. Dans le frigo. Entre le beurre et un pot de confiture.
Il y a quelques jours aussi, en fendant du bois, j’ai perdu ma hache.
Une petite hache. Une hachette. Pas un lourd outil de bûcheron, quand même.
Enervé par ses mesquineries et ses enfantillages pervers, après l’avoir retrouvée et m’être remis à l’ouvrage, je me suis finalement blessé assez profondément le doigt.
Parfois, je me dis quand même que je suis un inadapté. Un poisson qui ne sait pas nager, par exemple.
Mais quand je suis vraiment de bonne humeur et de mauvaise foi, je me dis que c'est le monde, qui est vraiment trop encombré d'objets.
Et ça n'a absolument rien à voir, mais il y a un graffiti du joli mois de mai que je ne supporte pas : Cache-toi, objet !
14:26 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Saurons-nous si la poche didactique fut suffisamment pédagogique ?(!)
—
Après un deuil, j'ai perdu mon orthographe pendant plusieurs mois... Ce qui produit un drôle d'effet, bien au-delà de la colère.
Écrit par : ArD | 25.11.2010
Oui, ArD, La poche didactique fut un bon support d'apprentissage. Pas à 100 pour 100, mais quand même un progrès appréciable.
J'imagine pour l'orthographe...La colère, c'est encore assumable et passager...Le désarroi et la peur sans doute, c'est autre chose.
Écrit par : Bertrand | 25.11.2010
me découvre une parenté
Écrit par : brigitte Celerier | 25.11.2010
Bienvenue au club, chère Brigitte !
Écrit par : Bertrand | 25.11.2010
Très beau texte, qui arrache plusieurs fois le sourire.
Et puis ce commentaire de ArD.
Je sais qu'on peut perdre ses mots. Qu'on puisse perdre (momentanément ou pas) l'orthographe, ça me sidère par ce que ça dit.
Écrit par : Michèle | 25.11.2010
Tiens, il n'y a pas que moi.. l'enfer c'est quand ils mettent "ouverture facile"; alors là, je resterais carrément devant si une âme secourable , souvent
moqueuse(mais on le comprend) ne venait me sauver; ce n'est rien, la vraie cata, ce sont les télécommandes ; avez- vous tous compté combien on en a maintenant; je suis une handicappée de ces trucs où il faut retenir de petits dessins, logos, pictogrammes ; je leur voue une haine féroce d'autant que c'est humiliant de changer de chaine quand on ne le veut pas ou de tout devoir réinitialiser; ne suis pas née avec!Vous avez le droit de vous ficher de moi.
amitiés A.M
Écrit par : Anne-Marie Emery | 25.11.2010
Sans compter ces choses nouvelles, qui ne sont ni des êtres ni des objets, mais des instances virtuelles ( un logiciel, une page web, un serveur quelconque) et qui oppose leur rigueur technologique à notre pauvre vulnérabilité humaine. Brrrr
Écrit par : solko | 25.11.2010
Pour qui a des difficultés avec les objets (et sur ce point, je vous comprends très très bien, Bertrand), il faut bien reconnaître que ceux-ci sont redoutables. Objectivement parlant. Ils ont des "qualités" qui défient notre sens commun. Par exemple, comme vous le suggérez, une capacité à se mouvoir (et donc à se jouer de vous) qui contredit tous les principes de la physique (qui suppose qu'une source d'énergie soit nécessaire etc etc), une capacité à se mettre hors d'usage au moment où vous en avez besoin (et pour certains, genre : machine à laver, perceuse -vous avez décidé de monter des rideaux..., cela arrivera toujours un dimanche, un jour férié, quand nul réparateur n'est disponible), une capacité à ne pas être tout à fait adéquat (c'est toujours la mauvaise clé, le mauvais tournevis (il fallait un cruciforme. Loupé !).
Et puis, comble, en effet, de la sauvagerie : l'objet ayant été inventé, mis au point par x ou y, cet objet dont vous savez que Pierre Paul ou Jacques s'en servent sans problème, cet objet vous rabaisse tendanciellement... Alors, pour se rassurer, disons que l'objet est "une école d'humilité" (j'aime bien cette formule creuse. On peut vraiment s'en servir à tout moment : une phrase-objet, en quelque sorte...)
Écrit par : nauher | 26.11.2010
Anne-Marie, une seule solution dans ton cas, et c'est un spécialiste ami qui te parle : Foutre la télé à la poubelle et narguer alors la télécommande, inutile, morte, dérisoire.
Amitiés à toi
Solko, je vous entends bien : Je n'ai pas parlé de mes velléités en la matière, mais, parfois,j'ai l'impression que la technique me nargue, me provoque, s'amuse à mes dépens.
C'est une guerre des nerfs d'où, le plus souvent, mon cerveau ressort perdant.
Oui, Nauher, l'expression est juste et belle...Et cette impresssion aussi que les objets se planquent...Il m'est souvent arrivé d'être certain d'en avoir posé un là,pas ailleurs, là, et, hop, disparu....
Quant à la pose de rideaux, ça donne une vision de l'enfer : Pas la bonne cheville, le tournevis trop gros, trop petit, émoussé, le platre qui s'effrite.....
Et c'est ce qu'on me propose ce week-end ! Oui, poser une lourde tringle pour des doubles rideaux !
J'en ai déjà les jambes qui flageollent !
Écrit par : Bertrand | 26.11.2010
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