04.11.2010
Prendre de la hauteur pour ne plus rien voir
Je regardais par le hublot.
C'est que je n’ai pas une grande expérience de l’avion, aussi je m'en étonne toujours assez naïvement…En plus, j’ai la frousse.
Ni du décollage, ni de l’atterrissage - j’accueillerais plutôt ce dernier, fût-il assez brusque, avec un soupir de soulagement - mais du vol lui-même.
Quand il ne se passe plus rien.
Au-dessus, que du bleu, mais qui ne semblait pas plus proche que vu depuis la terre. Normal, le bleu du ciel n’existe que dans nos yeux.
En-dessous que du quadrillage imprégné sur des teintes indécises. Une forêt, un cours d’eau, une route, à moins que ce ne soit l’inverse, des champs, des maisons, un pont, tiens, une ville, reconnaissable au désordre de ses dessins, comme un truc fait à la hâte, dans la panique, puis un grand lac. Enfin, je suppose...
J’aurais bien voulu savoir quand même à quelle géographie appartenait tel quadrillage à tel moment.
Une fois, il y a quelques années, j’ai volé au-dessus de la mer. C’était beaucoup plus facile. La tête se repère beaucoup mieux dans le rien que dans le tout et rien.
Le soleil frappait cette maquette désordonnée. J’ai cru voir d'obscurs cours d’eau, surplombés de noirs, comme encastrés dans le décor. Les Vosges ou les Ardennes, me suis-je dit. Et puis d’autres points de vue mais qui tous se ressemblaient curieusement. Une géométrie sans grande imagination.
Les paysages sont profondément humains en ce qu’ils réclament la proximité horizontale. Qu’on en palpe l’humidité, qu’on en sente l’aridité, qu’on en étreigne le fouillis, qu’on en respire le froid ou le chaud. Qu'on les regarde dans les yeux, à hauteur d'homme. Pas sur la tête.
Ils ne supportent pas d’être survolés, en fait. Comme des livres. Il leur faut de la complicité, à l'intérieur.
Vus du haut, ils n’ont plus aucun sens, les paysages. Ils sont dans un envers inexprimable.
Mais quand même, que je me disais, c’est là-dedans qu’on vit tous. C’est dans ces rectangles, ces triangles, ces rubans, ces demi-cercles, ces trapèzes qu’on rampe et ces formes géométriques de la géographie ne sont tracées que par l'activité des hommes.
C'est ce qui les rend inhumaines, sans doute.
Juxtaposer tout ça dans un seul coup d’œil, ça n’a pas de sens et ça donne l'impression d'un tableau excécuté à mille mains, sans que Pierre ne voit jamais ce que fait Paul.
Et ça m’a fait penser aussi à certaines fresques rupestres de Lascaux, chevaux ou autres animaux sauvages, peintes sur le tournant d’une paroi coupée par un boyau étroit, de sorte que l’artiste n’a jamais pu voir la totalité de son œuvre.*
Et je me demande quelle vision les oiseaux, les grand migrateurs qui voyagent à 10 000 mètres d’altitude, peuvent-ils avoir du monde, eux qui n'y sont pour rien dans ces découpages et pliages des paysages verticaux ?
A quel moment se sentent-ils le plus "oiseaux "?
Avec un seul paysage dans leurs yeux ou avec tous agglomérés les uns aux autres, insensés ?
Quand j’ai commencé à avoir très mal aux oreilles, que Jagoda s’en est plainte aussi, que les paysages se sont rétrécis, se sont mieux emboîtés pour faire enfin un bout de terre cohérent, que bientôt la confusion bleue et grise de la grande agglomération s’est devinée dans la brume, que même l’ombre de l’avion, en bas, s'est mise à tanguer, alors je me suis dit que tout ça, qui s’était mélangé dans ma tête, ça avait été un sacré moyen de conjurer mes peurs.
De survoler mon vol.
* Si vous ne me croyez pas, demandez à Sarkozy. Lascaux n'a plus de secret pour lui...
13:17 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
le bateau fut, et reste, l'élément privilégié du voyage et du rêve. Pas l'avion. L'avion est un moyen qui "suspend" l'espace et la confrontation avec lui. Tout juste bon pour une approche surprenante de Venise. Pour le reste, comme vous l'écrivez justement, on survole...
Écrit par : nauher | 05.11.2010
Les commentaires sont fermés.