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21.06.2010

Quand le doute croît

Renard_roux_6B_VIGN_06022010_-_Japon-58b6e.jpgTu ne me crois pas ?
Je vois bien que tu ne me crois pas, allez ! Ne fais pas semblant…

C’est pourtant la vérité vraie que je te raconte là…Enfin, du moins  telle que je l’ai vécue. Parce que, en soi, la vérité, ça ne veut pas dire grand chose.
Pascal aurait mieux fait de nous laisser comme maxime de  sagesse, vérité dans cette tête-là, fumisterie dans cette autre. Avec ou sans les Pyrénées. Pour donner crédit à d’immondes conneries qui sont pour les autres de
lumineuses exactitudes, les hommes n’ont pas besoin d'être séparés par une  montagne, voyons !
Une cage d’escaliers y suffit.  Que dis-je ? Un palier tout court.
Si on y regarde de près, on passe finalement sa vie à croire. Donc, dans une large mesure, à nier l’autre du même coup.
Mais on dit aussi, plus innocemment : Il croit en lui, elle croit pouvoir être là à huit heures, tu ne crois pas en dieu, je crois en ses chances, je crois qu’il va faire beau et tutti quanti.

On voit bien que ce traitre mot, ce mot de l’affrontement, ce mot de l’idéologie pure, de la différence aussi, est double. Sournois comme pas un. On croit à dieu, par exemple, ça veut dire qu’on le suppose intellectuellement. Dans les cas les moins graves, bien sûr.
Croire en dieu, là, pas de détail,  on est dans le spirituel, la morale pure, si j’en crois – et je n’ai pas de raison particulière de ne pas l'en croire – le Robert, dictionnaire historique de la langue française.

Voyez comme il chipote, ce verbe ! Pourtant, on ne dit jamais croire en Père-Noël… Les enfants seraient-ils des intellectuels intéressés ? C’est bien possible, après tout.
Plus intelligemment, on croit en ses chances, là, c’est de l’espoir, ou de la présomption, ça dépend du niveau qualitatif de l’erreur de soi-même.
Je le crois coupable, on verse ici dans le soupçon. Parfois dans le préjugé. Souvent même. Et quand on sait que c’est là où on sait  le moins qu’on arrive à faire soupçonner le plus, comme ils disaient, ben, faut croire que ce verbe croire, c’est  aussi l’antinomie même de la connaissance.
Je crois que je vais y arriver...On en vient à  la conjecture, avec un grand aveu d’impuissance en filigrane. Du doute.
Et il peut faire horriblement peur, le verbe croire quand il enfile ce costume-là.  Il y a quelques années, un copain ayant séjourné à Madrid et se proposant de revenir à Paris,  me racontait  qu’au départ de l’aéroport, l’avion avait dû faire demi-tour. Petit problème technique. Vraiment tout petit. Si petit que les passagers n’avaient même pas été débarqués pendant que les techniciens bricolaient au niveau de l’aile et qu’il les entendait palabrer entre eux. La réparation terminée, il y en a un qui a dit à l’autre, en rangeant ses divers clous : je crois que ça devrait coller…Décoller, en l’occurrence. Mon copain, il ne savait plus quel sens donner à ce foutu je crois. Il eût aimé qu’il n’exprimât qu’une franche certitude, presque un aveuglement, un fanatisme, et, à cause de ce mot malfaisant,  ambigu, il a passé deux heures horribles dans les airs.

Non, vraiment, s’il faut lire ce foutu vocable sans les nuances, il est illisible. Il se mange d’ailleurs à toutes les sauces. Pire. Il peut servir à maquiller son exact contraire, un menteur faisant en effet tous les efforts du monde - ne faisant quasiment que ça d’ailleurs - pour qu’on le croie.

Par un bref coup d’œil jeté sur l’état du monde, on voit bien comme les grands menteurs, les champions de la dissimulation, y parviennent : ils occupent pratiquement tous les podiums de la cité. Ils sont même arrivés à vous faire croire que la lune était une crêpe !  Lorsqu’on croit fermement à son mensonge, faut croire qu’on possède donc une redoutable force de persuasion.

Il sert surtout à ça le « croire », en fait. Á persuader les autres de la justesse de ses propres erreurs ou du bien-fondé de sa duplicité.
La liturgie chrétienne, c’est dire, l’a même conservé dans sa forme première, latine, pour ne pas l’abîmer, pour le servir bien en l’état de sa dangerosité initiale, pour qu’il frappe encore plus fort. Qu’il  frappe les hérésies, selon le Concile de Nicée. Le credo, la profession de foi, la certitude aveugle, l’anéantissement du sens critique, l’hallucination, l’étau meurtrier du dogme, la force hystérique de l’auto-persuasion.

Terrible, ce mot. Une épée aux multiples tranchants. Une épée à manier avec précautions.

Tu me crois. T’es un gars bien. Tu ne me crois pas. De deux choses l’une : Ou tu ne comprends rien ou t’es malhonnête.

Finalement, mieux vaut, comme moi,  ne plus croire en (ou à)  rien, tiens !
Ah, pas si vite ! Parce que quand je dis ça, me parant évidemment du désabusement philosophique, de celui qui sait tout parce qu’il ne sait rien, prenant la hauteur superbe du sage et l’attendrissant désespoir du romantique, le mot ne l’entend pas de cette oreille, lui.  Il n’aime pas qu’on le manipule, qu’on inverse les rôles, qu’on lui vole la vedette.
Tel un serpent sur la queue duquel j’aurais marché, il se retourne alors et me pique sévèrement.
Je ne crois plus en rien. C’est-à-dire que je crois que tout est possible, que tout peut advenir. Je crois en tout, quoi.

J’ai connu une dame dans le temps jadis, comme ça. Elle croyait à tout et comme on l’en brocardait sans ménagement, elle s’est mise tout à coup à ne plus croire en rien.
Du coup, elle avait l’air d’une fausse sceptique.
Voyez comme il est vindicatif, méchant, ce mot !

Je crois bien que je le déteste.

Photo : Aurélien Audevard

16:56 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

je dirais bien se l'interdire, et immédiatement me viennent des exemples de fois où j'aime croire en la bienveillance

Écrit par : brigetoun | 21.06.2010

Oh, dis donc, ta dame du temps jadis, tu la relègues dans un endroit suave!

on employait, quand j'étais gamine et c'était pure vantardise:"qu'est-ce tu crois?" ou bien "qu'est-ce qu'y croit ,suila?(purement phonétique)" quand on était entre copines , l'objet de taquineries de la gent masculine.
merci de faire reflexion sur ce mot galvaudé.
Anne-Marie

Écrit par : Anne-Marie Emery | 22.06.2010

Elle aimait les oiseaux cette dame que vous avez connu?

Bonne journée

Écrit par : voyageuse | 22.06.2010

Elle aime les corbeaux, cette Dame, parce que c'est un oiseau qui crôa ! (et oui, j'ai osé descendre aussi bas! Mais j'ai comme l'impression que c'est là que la voyageuse voulait en venir...)

Je garde en tout cas cette phrase en réserve : "Il sert surtout à ça le « croire », en fait. Á persuader les autres de la justesse de ses propres erreurs ou du bien-fondé de sa duplicité."

Écrit par : stephane | 23.06.2010

Cette dame, décidément, intrigue, la pauvre !
C'est vrai que je l'ai baptisée ici d'un sobriquet -phonétiquement- peu engageant..
Mais a t-elle seulement existé ailleurs que dans mon imagination ?

Écrit par : Bertrand | 23.06.2010

Les commentaires sont fermés.