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03.06.2010

Contes et légendes de Podlachie - 9 -

DSCF0011_viorne_obier-ecran.jpgLa viorne

L'homme venait de loin...De vraiment très loin.
Il venait de pays bien plus lumineux que ne le sont les plaines désertes de Podlachie. C'est du moins ce qu'il prétendait.

Il venait de par-delà les plaines, les bois, les forêts, les vallées, les montagnes, les fleuves et les rivières...Il venait d'aussi loin que peut venir le vent...Des rives inconnues d'une grande étendue liquide et mouvante, qu'il appelait la mer.
À l'autre bout du monde.
Il disait que là-bas, les hommes faisaient sur les tables des tavernes s'entrechoquer de lourdes pièces d'or ; Il disait qu'avec ces pièces, ils achetaient, ils construisaient, ils échangeaient des richesses et vivaient dans une joyeuse opulence.
Il disait que s'élevaient là-bas, à la gloire du grand Manitou, des bâtiments pharaoniques, à la pierre finement ciselée et dont les clochers en forme d'aiguille s'élevaient bien plus haut que les nuages en pluie. Et, ce disant, il montrait avec dédain les misérables huttes de bois et de chaume des Yadwvingues, les yeux écarquillés, bouche bée, transportés par les mots  qui ruisselaient des lèvres magiques du voyageur.
Plus que tout autre, une jeune fille s'enivrait  des paroles de cet homme. Son âme s'enfuyait vers ces contrées mystérieuses et ses yeux verts, ses grands yeux verts, obstinément rivés sur le voyageur, flamboyaient d'un espoir infini. Elle avait nom Kalina, comme d'autres s'appellent Marguerite, Rose ou même Narcisse, car Kalina désigne aussi la viorne, ce petit arbrisseau aux fines feuilles dentelées et aux baies rouges, qui mûrissent en automne près des ruisseaux limpides.
L'homme remarqua bientôt le regard de Kalina et la tendre silhouette de la jeune femme et ses longs cheveux bruns qui tombaient en cascades éparses sur ses belles épaules.
Il dit alors qu'il voulait l'épouser, qu'il lui montrerait ces pays paradisiaques d'où il venait et qu'il la couvrirait aussi d'or et de lumière.
Kalina fut aux anges et accepta, le genoux à terre, que le voyageur venu des antipodes devienne son compagnon.
On fit une fête énorme, tout le village dansa, s'enivra et chanta toute une nuit durant, et, au matin, le voyageur prit la jeune femme en croupe (du cheval, ho, ho, ho...attention ! ndlr)  et l'emporta loin du village, des huttes et des forêts des paisibles
et crédules Yadwvingues.
Les brouillards de la plaine les enveloppèrent bientôt, qui disparaissaient sur l'horizon humide.

C'est alors que Kalina déchanta...
C'est toujours comme ça, dans les légendes, nom d'un chien ! Les bons s'avèrent bientôt être des méchants et vice-versa...C'est à désespérer des uns et des autres ! Bref...
Car, au cours du long voyage, l'homme lui parlait durement, la rudoyait même, et lui donnait les ordres les plus abjects. Outre la préparation des repas, le cirage de ses bottes, le dépoussiérage de ses habits, l'étrillage du cheval, il lui fallait porter les bagages si le terrain était trop lourd et commandait que la monture fût ménagée.
Mais pire, il y eut bien pire...Il y eut l'irréparable meurtrissure. Dans des tavernes obscures, turbulentes, remplies du fracas des ripailles, l'homme, pour quelques pièces d'or, en vint chaque soir à vendre les beautés de sa jeune femme.
Kalina ayant réussi à tromper la vigilance de son bourreau, un soir qu'il était ivre et faisait bombance avec d'autres dépravés de son acabit, revint au village après un long, très long voyage.
Mais son cœur était humilié et sali à jamais...Elle pleurait et des larmes de sang s'écoulaient de ses paupières.
Elle dit que l'homme était le diable ; Que tous les hommes, là-bas, riches, vaniteux et braillards, étaient des diables car ils achetaient et vendaient tout, même la vertu des femmes.
Elle partit alors s'allonger dans la forêt, aux abords du village, et voulut mourir là, sur le bord d'une eau qui scintillait entre les herbes, tandis que des pleurs de sang, les pleurs de la honte et de l'infamie, dégoulinaient en silence de ses yeux épouvantés.
Et c'est pourquoi les forêts humides de Podlachie regorgent aujourd'hui de ce frêle arbrisseau, la viorne, qui, chaque automne, sempiternellement, jette au ruisseau ses gouttelettes rouge-sang...

08:00 | Lien permanent | Commentaires (3) |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

C'est ce qu'on appelle un conte des origines, un conte étiologique, explicatif.
L'origine de la viorne.

Écrit par : Michèle | 03.06.2010

La photo est très belle. On en mangerait...

Écrit par : Michèle | 03.06.2010

Version inverse de celle du 08.04, "Les tulipes" puisqu'ici le mariage de la jeune fille a bien lieu (dans l'autre conte elle est déjà mariée et rêve de partir avec le beau voyageur). Elle est finalement punie de sa crédulité puisque son mari la maltraite (et plus que cela encore..). La voilà coupable d'avoir cru à ses rêves, en quelque sorte.

Dans "Les Tulipes", le rêve ne s'est pas réalisé et le voyageur est parti, laisssant la fille à sa mélancolie. Elle DEVIENT menteuse :
" Elle disait des « je t'aime » à un mari qu'elle n'aimait point, elle n'avait de cesse que de lui dire toute sa tendresse et, disant tout cela, s'adressait au poète que les horizons incertains avaient si cruellement englouti"

Ici, c'est le voyageur devenu mari qui ETAIT menteur puisque loin de tenir ses promesses, il la maltraite.

ici, la femme revient finalement dans son village (dans Les Tulipes, c'est le voyageur qui revient) et meurt de chagrin (d'avoir été trompée par les hommes). Dans les Tulipes, elle meurt aussi, mais reste dans son mensonge (jamais elle n'avoue son amour pour le voyageur). Dans les deux cas, le souvenir de l'événement est conservé par une plante de couleur rouge.

Écrit par : Feuilly | 05.06.2010

Les commentaires sont fermés.