UA-53771746-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22.01.2012

Donne-moi plutôt ta main...

En janvier 2010, la température chuta jusqu'à - 33 degrés. Dans ma maison, toutes les tuyauteries avaient sauté. Nous nous étions repliés à l'hôtel, où j'étais, comble de malchance, tombé malade. La fièvre.

littératureSur les marches de l'hôtel, l'homme balaie la neige tombée durant la nuit.
Son geste est las et mécanique. Sa cotte de travail verte est foncée. Son bonnet de laine est saupoudré de blanc, ses sourcils ombrageux, ses yeux sombres, les yeux du travailleur des petits matins.
C'est l'heure de ma première clope. L'heure de dire bonjour au ciel.
De translucide, aigu, inexistant qu'il était presque sous moins trente degrés, il est devenu épais sous moins vingt degrés et la neige tombe, tombe, en plumes glacées sur la ville.
Les fumées de charbon se mêlent aux flocons, le blanc contre le noir.

L'homme balaie pour que les messieurs-dames de l'hôtel puissent sortir bientôt sans risquer de  glisser et sans  trop maculer leurs belles chaussures.
Je le salue.
Il me salue aussi. Mais de loin, sans sourire, sans civilité excessive inscrite sur son visage. Distant.
Je regarde son geste las et mécanique. Je secoue la tête. J'écrase ma cigarette.
Je suis un de ces messieurs pour lesquels il balaie dans le froid gris d'un matin gris d'un hiver des plus gris et des plus redoutables.
Il y a entre cet homme et moi une zone profonde, un no man's land, un océan de préjugés bien plus infranchissable que la langue et ses sonorités contraires.
Une fausse zone, comme toutes les zones qui séparent le regard des hommes.
Ces  zones-là sont des alibis pour les feignants du cœur et les menteurs de partout.
Car lui, le balayeur à la cotte verte, le balayeur taciturne, il a dormi chez lui, dans son lit. Ce matin il a fait le feu, il a regardé les flammes danser et il a entendu se fendre le bois sous la chaleur épaisse. Il a bu un café fumant et dégusté des toasts grillés. Sa confiture, rouge, pourpre, sentait bon les fruits de son jardin enfui...
Moi, je suis échoué ici, comme une algue marine sur l'ocre des plages. Réfugié. J'ai quitté mon navire assiégé par des couteaux glacés.
Je regarde le ciel qui se déplume.
Le mauvais sort n'est pas du côté que donnent les apparences sociales, tant les hommes aux hommes sont devenus étrangers .
J'ai souri à celui qui balayait les marches de l'hôtel.
J'eusse aimé lui dire que pour moi, ça n'était pas la peine. Que j'avais déjà glissé et que la neige sur les marches, les culbutes et les chutes, ne me faisaient plus peur depuis longtemps.
Que son geste las et mécanique n'était pas pour moi.

Dans le hall de l'hôtel, j'ai regardé tout un moment une grande et vieille image sous verre, qui trônait là sur le mur. L'équipe de foot polonaise, médaille d'argent de la coupe du monde 1974.
Je me suis demandé ce que je faisais en 1974 et j'ai vu que j'avais alors les mêmes espoirs qu'aujourd'hui. Que les hommes se serrent fraternellement les mains.
Il n'y a pas d'âge pour être idiot. Les utopies ont la peau dure.

Et, lui, le balayeur pour pas que je glisse, moi, un monsieur qui sommeille dans les hôtels, qu'est-ce qu'il faisait, en 1974 ?
Où en est-il de ses espoirs et de ses défaites ?

Il neige sur les fumées du charbon... Le blanc contre le noir...

10:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Les commentaires sont fermés.