18.02.2009
L'étranger
Ce sera fin avril.
En France, là-bas, ce sera le vrai printemps déjà. Plein de feuilles partout, accrochées aux branches des marronniers, aux arbustes des buissons et des halliers aussi. Et des fleurs jaunes qui vagabonderont sur des talus.
Mais 2500 km, c’est long à parcourir pour un printemps !
La sève ici commencera à peine d’escalader les troncs et les branches, poussant devant elle les premières velléités de bourgeons, les premiers embryons de feuilles en tortillons encore, indécises entre le blanc et le vert. L’herbe au fossé sera encore un peu jaune, étouffée des mois et des mois durant sous le gel et la neige.
2500 km, des bords d’un océan aux frontières des Russies, c’est si long à parcourir, pour un printemps !
Il y aura plus d’oiseaux, des ramiers et des passereaux, tous revenus de leurs quartiers d’hiver. Des cigognes aussi qui planeront sur les champs et claqueront du bec, comme les poètes, le cou très renversé en arrière sur le gros amoncellement de brindilles qui leur tient lieu de nid.
Ce sera fin avril.
Le vent léger sera frais encore quand nous sauterons, très tôt le matin, dans un tout petit bus. Jusqu’à Varsovie. Puis dans un gros bus, avec une télévision qui braille des fois, et des gens qui causent fort. Nous nous installerons là pour vingt-quatre ou vingt-six heures, direction la frontière ouest, puis Berlin dans la nuit, Hanovre, Bruxelles, puis enfin, exténués mais joyeux, Paris.
Nous aurons passé la frontière sans frontière après Bruxelles. On aura doucement chuchoté sur mon épaule endormie, "c’est la France." J'aurai regardé défiler mon pays, de l’autre côté d'une vitre anonyme. Je n’aurai pas bien vu ces routes et ces buissons et ces maisons encore assoupies sous l’aurore. Trop de souvenirs devant les yeux. Trop longtemps. Trop d'échecs. Trop de désillusions. Trop de tout.
2500 km, c’est long à parcourir, même quand on n’est plus un printemps !
Le soir, après métro et train rapide, racketteur des pauvres gens, je verrai s’abandonner le jour sur les ondulations de cette campagne charentaise où j’ai si longtemps promené ma vie.
J’irai saluer mon ami. Je lui dirai un mot tendre. Je lui dirai qu'il me manque tellement et que c'était bien sa visite en Pologne. Juste avant...Jamais je ne suis revenu en France depuis qu'il a quitté la terre. Je ferai un baiser sur ma main et le soufflerai vers son silence. Une larme. Une seule. Celle de l'amitié trahie par le destin.
Puis, je ne sais pas…J'embrasserai mon fils, mon frère et quelques amis. Ensuite, je ferai ce que je suis venu faire. Pour mon livre.
Je regarderai l’océan, sans doute, comme on regarde les écumes du passé venir encore mouiller ses pas.
Je ne sais pas quel remous de lui s'agitera dans ma poitrine. Mais ça n'a pas d'importance : on est nulle part et partout chez soi quand on ne sait plus exactement où on est un étranger.
Ce sera fin avril…
Il neige.
08:57 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Emotion, à la lecture de ce beau texte "L'étranger".
Emotion aussi de l'attente, la tienne, Bertrand, celle de tes proches ; la nôtre, à te savoir sur tes terres océanes.
Oui c'est long 2500 km pour un printemps.
Écrit par : michèle pambrun | 17.02.2009
Et peut-être aussi aura-t-on le loisir de se glisser une mousse parisienne juste derrière l'emplacement de la cravate...
Écrit par : Marc V. | 17.02.2009
Rassasié d'or ancien ployant sous les tropiques
Un jour m'en reviendrai les voiles en avant
Porteur de blés nouveaux avec mes coups de triques
Tout seul mieux qu'un marin je violerai le vent
Harnaché d'Espagnols remontant la Garonne
Je rentrerai chez nous éclatant de lueurs
Le gens s'écarteront saluant la Madone
En pour par le col et d'une autre couleur
Ferré, "Le bateau espagnol"
Écrit par : Feuilly | 17.02.2009
Ce sera fin avril et des fèves, qui sait, commenceront à lorgner vers mon assiette.
Écrit par : denis montebello | 18.02.2009
Ah, Cher Denis, des fèves !
Mon droit d'aînesse, pour un plat de fèves !
Écrit par : B.redonnet | 18.02.2009
Dites, je ne savais pas que les arbres faisaient de l'auto-stop. C'est un peu ce que je vois sur la photo choisie pour illustrer ce très beau texte. L'arbre, comme le poète, est la parfaite figure (au sens baudelairien) de "l'étranger" sur Terre.
Félicitations pour cette édition attendue et cet avril prometteur.
Écrit par : solko | 19.02.2009
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