05.10.2010
Légende, fantasme, fait divers horrible ou je ne sais quoi encore...
Il y a quelque temps de cela, je m’étais procuré un vieux livre de contes et légendes dans une bibliothèque. Un mauvais livre de reprises et qui ne citait même pas les auteurs ! Le tout desservi par un style d'une naïveté déconcertante.
Parmi ces légendes, mal dites, mal écrites, souvent bêtes comme chou, de ce vieux livre, une seule m’avait accroché quand même. Par son sujet.
Sans que le mot ne soit prononcé, il s’agissait en fait de lycanthropie. La Louve blanche, qu’elle s’appelle, cette légende.
La lycanthropie. L’être redoutable qui remonte à la surface. Le monstre humain atavique qui prend soudain le dessus. Légende, fantasme ou réalité psychotique ?
Alors, je m'étais documenté un peu. Faut dire qu’ici, en Pologne où la forêt et la plaine sont blanches le tiers de l'année durant, dans ce silence héberlué des hivers continentaux, je suis un peu hanté, parfois, par l’image des loups.
Mon voisin le plus proche prétend même qu'un couple vagabonde dans la forêt, en face de chez moi ; qu'il a vu les traces.
Moi-même, un soir tout froid et de vent glacé, j'ai cru entendre hurler comme on dit que hurlent les loups.
Ce qui fait bien rire Dorota et Jagoda, mais bon...
Avec mon vieux et mauvais livre de légendes, donc, je suis resté pantois : Je me suis en effet aperçu que la légende était, en fait, un copier/coller d’un fait divers rapporté comme authentique !
Elle disait mot pour mot le cas d’Arline de Barioux, dont le procès avait eu réellement lieu en 1588, à Riom.
Je vous livre à peu près ce que j’ai pu en lire :
Arline de Barioux, épouse de Nicolas de Barioux, vivait une vie ordinaire et agréable dans les montagnes du Cantal. Elle était jolie, aimable, et son mari en était, paraît-il, follement épris.
Tous les vendredis après-midi, celle-ci avait cependant l’habitude de quitter le logis familial pour aller, la chère âme, porter de quoi se nourrir aux pauvres de la campagne environnante.
Une femme, ou un homme, qui s’absente régulièrement, même jour, même heure, sous quelque prétexte que ce soit, moi qui suis un peu parano, je trouve ça bizarre depuis la Fée Mélusine.. Mais bon, passons…
En fait, là, dans cette histoire précise, j’ai raison. Parce que tous les vendredis après-midi, il s'est avéré que l’angélique Madame de Barioux se rendait à la forêt où elle…. se changeait en louve furieuse et dévorait des enfants !!!
C’est en tout cas ce que l’enquête a déterminé.
Où ça, des enfants ? Est-ce que ça pousse dans la forêt, des enfants ?
Je n'en sais rien...Je dis simplement ce que l'enquête a établi.
Mais, las, las, las, trois fois las, un vendredi du gai printemps de 1588, Roger Griffoul, le chasseur du coin, revient bredouille de sa chasse. Il est pas content du tout, Griffoul. Comme tous les chasseurs bredouilles du monde.
Ça me fait penser, tiens, à une réflexion de Léautaud : Si les lièvres avaient des fusils, on en tuerait moins…
Mais ça n’a rien à voir ici…Et puis Léautaud, c’étaient plutôt des chats…
Revenons donc à nos moutons : Roger Griffoul, tout dépité qu’il était, voit alors surgir devant lui un énorme loup qui a vraiment l’air féroce. C’est dit comme ça dans l’histoire, d’où je me suis mis à supposer qu’il y en a des qui ont l’air gentil.
Griffoul tire. Sans succès.
En fait, ce Griffoul, ça doit être un maladroit, que je me dis. Parce que louper un merle, d’accord. Mais un loup ? Hein, c’est gros, quand même, un loup féroce !
Le loup, lui, en dépit de ce coup de fusil raté du chasseur dépité, veut en découdre et il montre d’horribles crocs baveux….Pour se défendre, Griffoul saisit son couteau de chasse et un combat féroce s’engage alors entre l’homme et le loup.
Et ça n'est pas une allégorie...
Courageux, Griffoul. Moi, poltron comme tout, j’aurais détalé de là en vitesse ou j’aurais grimpé à un arbre, quitte à attendre là-haut jusqu’au jugement dernier.
Mais Griffoul, lui, il n'est pas comme ça. Il réussit même à trancher une patte du loup…La patte droite, disent exactement les minutes du procès de Riom. L’animal abandonne alors le combat et s’enfuit, tout sanguinolent, sous les taillis épais.
Peu après, Nicolas de Barioux rencontre le chasseur Griffoul sur la route. Par hasard, sans doute. L’histoire ne le dit pas… Mais le hasard fait bien mal ou mal bien les choses. Parce que le chasseur, la face livide, le menton convulsif et la lèvre sèche et exsangue, balbutie :
- “Je me suis battu avec un loup, dis donc, je lui ai coupé la patte et voilà ce que je rapporte! ” et il montre une main de femme !
On serait effrayé à bien moins, convenons-en….Nicolas, lui, sent sa tête qui chavire : il reconnaît la bague au doigt de la main sanglante. Il s’agit de la bague de sa femme, bon sang de bon sang de bonsoir !
Arline de Barioux revient, elle, subrepticement au logis en fin de journée, longe les murs et se renferme à double tour dans sa chambre .
Mais comme de Barioux sait tout, il force la porte, et oblige la femme dont il est follement amoureux, à montrer l’ignoble blessure. Il exige des aveux. Comment ? Je ne sais pas…Toujours est-il que la louve, heu, la femme, avoue tout et moi c’est tout ce que je sais.
Eh, ben, dis-donc, il a dû avoir une de ses frousses a posteriori, le gars de Barioux ! Moi si je m’apercevais un jour que j’ai couché avec une louve sanguinaire pendant des années, que je l’ai caressée, aimée, qu’elle m’a embrassé le cou, la pomme d'Adam et même pire, je deviendrais vraiment fou à lier.
Pas lui. Il garde la tête froide et sa femme, heu, sa louve, il la livre à la justice.
Elle eut donc droit à un procès qui passionna les foules et elle fut brûlée le 12 juillet 1588 sur la grand-place de Riom.
Vous ne me croyez pas ? Mais allez-y, à Riom, vous verrez ! Vous demandez le tribunal, les greffes, les archives...Allez-y ! En plus, c'est joli, Riom...J'y suis allé. Une fois.
Voilà donc l’histoire…Je me demande quand même : en quoi un tribunal humain était-il compétent pour juger un animal ?
Mais c’était une femme !
Bon, ben alors, où était le problème ? On la jugeait parce que c’était pas une femme, justement...
Il y a de la controverse de Valladolid, là-dedans.
N'empêche que la légende du mauvais livre figure en langage approprié dans les archives d’un tribunal !
Et la question qui me tarabuste : Qui, du juge ou du grimaud, s'est nourri de l'autre ?
14:03 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Ton récit et la photo m'ont immédiatement fait penser à la bête du Gévaudan; je suis lozérienne par mon père et les grands-parents nous relataient cette histoire de gens attaqués et tués à la fin du 18ème siècle alors qu'ils gardaient les troupeaux et çà nous fichait une belle trouille.Plus vieille ensuite et peu crédule par nature, j'ai bien vu que l'amplification faite à chaque reprise du récit rendait tout çà bien peu plausible, au point que les cours d'histoire en dehors des faits(dates, guerres et objets retrouvés) m'ont toujours paru des interprétations vaseuses; je suis une vilaine sceptique.
Amitiés A.M.E
Écrit par : A.M Emery | 06.10.2010
J'ai lu, autrefois, dans un p'tit bouquin acheté en Lozère, que le loup du Gévaudan était en fait une hyène, plus ou moins domestiquée et dressée pour tuer par un désaxé qui avait voyagé en Afrique, d'où il avait ramené la bête...
As-tu eu cette "version" ?
Écrit par : Bertrand | 06.10.2010
Non, je n'ai pas eu cette version; la plus vraisemblable est un énorme loup assez monstrueux, affamé (à 1300 m d'altitude et dans la neige, il devait se rapprocher des villages)et c'est tout; maintenant, c'est une exploitation touristique d'ailleurs assez restreinte avec des fêtes où les gens se déguisent, tu vois le genre, pour les gosses, quoi...les villages de mes grands-parents sont plus au sud vers les sources de l'Allier et vers le Bleymard, autre arnaque touristique avec les circuits Stevenson, et des ânes partout qui promènent les couillons; dommage pour ce pays absolument marveilleux au sens propre , à savoir pas gâché par l'urbanisation,un vrai miracle: aller ramasser des fleurs d'arnica sur le "Goulet" ou des myrtilles, crois moi quel repos!
amitiés A.M.E
Écrit par : A.M Emery | 06.10.2010
"et des ânes partout qui promènent les couillons"
et les ânes ne sont pas ceux que l'on croirait à première vue....J'ai déjà vu ça...
N'empêche que l'histoire de la Bête du Gévaudan est quand même un mystère pas si simple..car on a retrouvé, si on en croit des archives et des témoignages, des victimes dévêtues et décapitées.
Ce qui ne pouvait pas être l'oeuvre d'un loup.
Écrit par : Bertrand | 06.10.2010
Ah bon, a serial-killer alors? Jack, Landru? Mystère....
Écrit par : A.M Emery | 06.10.2010
Je suis très intéressée par cette histoire d'Arline de Barioux. Pourriez-vous m'indiquer dans quels livres vous l'avez trouvée. Des références...
Merci.
Evane Luna
Écrit par : Luna | 10.09.2014
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