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28.11.2017

Les mépris incongrus

facertt-z.jpgQuand l’accordéon de Verchuren se mettait à grésiller dans le vieux poste posé sur le  manteau de la cheminée, ma mère montait le son, réglait la station, enjoignait le silence à tout le monde et, fort guillerette, entamait deux ou trois pas de danse… Un air de gaieté printanière s’engouffrait dans la maison, chassant d'un coup tous les ennuis du quotidien.
Mieux. Si la valse musette avait des paroles, alors la voix maternelle l’accompagnait de ses trémolos enjoués.
Une inconditionnelle. Le fleuron de sa culture musicale.
Même si ça disait toujours la même chose : des montagnes, des fleurs, des amours jolies, de belles rivières.
Mon frère aîné itou…Toujours, je l'ai vu se trémousser sur un air d’accordéon, ça, c’était de la musique qu’il disait en me toisant et même que les airs de Verchuren, il les jouait sur son harmonica ! Alors ?
Ils sont partis tous les deux… Me reste les souvenirs… De plus en plus présents. Avec parfois au coin du coeur, une goutte humide qui ne dit pas son nom.

Moi, c’était la guitare, d’abord le blues, puis le rock, puis les vraies chansons à texte et la barbe du Che… Verchuren et son accordéon de m...., ma génération les couvrait de son plus puissant mépris. Des faiseurs de bal à papa !
Tout ce qui incitait ma mère à danser faisait forcément partie du vieux monde.
De ce vieux monde éreinté, avachi, qu’il nous fallait abattre… Un monde d'andouilles !

Me reste les souvenirs… De plus en plus présents.
Alors l’autre soir, en farfouillant sur internet, je suis tombé sur André Verchuren, un nom que j’avais presque oublié tant l'eau, depuis,  sale ou limpide, a coulé sous mes ponts incertains.
Et tout m’est revenu en bloc, l’enfance, le soleil de mon village, les odeurs des fermes, les copains, mon bonheur de vivre, ma mère, mes frères…
Et j’ai lu…
Un résistant, Verchuren. Un gars qui a 24 ans cachait les parachutistes alliés et qui, dénoncé par un salopard, dut prendre enchaîné un train de la mort pour Dachau.
Un jeune homme qui, malgré tout, ne rabaissa pas son caquet : dans cet enfer de la douleur et du crime, il avait exhorté ses compagnons d‘infortune à chanter La Marseillaise.

Qu’avais-je donc été, moi, à côté ? Avec ma guitare, mes chansons à la con, mon situationnisme, mes petits combats de rue, mes escarmouches, mes résistances ?
Punaise, ce qu’on peut se tromper quand même sur le cours d'une vie !
Et ma mère ? Et mon frère ainé ? Savaient-ils tout ça, eux  ?

Je me souviens que ma mère entamait deux ou trois pas de danse… Un air de gaieté printanière s’engouffrait soudain dans la maison et, si la valse musette avait des paroles, alors la voix maternelle l’accompagnait de ses trémolos enjoués.

Chapeau bas, Monsieur Verchuren… Les Justes pardonnent toujours à l'ignorance.

12:28 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent |  Facebook | Bertrand REDONNET