20.05.2011
Les pointus
Là-bas, à l’autre bout du monde, dans la poussière ou la boue des pénitences, on les appelle, par une de ces allégories propres à l'enfermement carcéral, les pointus. Ceux qui sont tombés pour la pointe.
Souvent, si toutefois vous parvenez à le saisir, à leur voler plus exactement, leur regard est glauque. Vitreux. Pitoyable. Misérable. Un peu comme ceux des chiens errants, la digne mélancolie des pauvretés en moins. Le long des routes de nulle part.
Ils sont vraiment derrière les murs, les pointus. Juste derrière les murs. Ils les rasent. Ils se perdent dans la contemplation honteuse du bout de leurs godasses. Ils sont méprisés, haïs même, par leurs codétenus. Rejetés par ceux que la société a bannis. Plus bas que la cave. Plus bas que la terre dans laquelle ils semblent vouloir rentrer pour s'y cacher. Alors, ils se rassemblent, les pointus, dans la cour de promenade, comme des oiseaux malades à la plume déchirée. Ils font masse.
Et les insultes pleuvent sur leur lamentable troupeau gémissant. Parfois un crachat.
L’administration aux clefs redoutables les protège, les pointus. Les protège des coups qu’on a envie de leur donner. Comme si on était concerné par la souffrance et la destruction de leurs victimes.
Les pointus. Les erreurs humaines. Les antérieurs au Neandertal. Des chiens fossiles dans un chenil de loups. Aux gamelles rouillées, cabossées. Et qui montrent, quand ils font mine de vouloir sourire en retroussant leurs babines exsangues, des restes de chicots noirs.
Les pointus. Leurs fesses sont maigres et leur membre, leur arme, à la douche commune, d'une pathétique débilité.
11:28 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
et ils sont chantés doucement ici
Écrit par : brigitte Celerier | 20.05.2011
J'ose croire, par un reste de respect pour mon pays, que les 57 pour cent n'en sont pas...
Écrit par : Bertrand | 20.05.2011
Par chez moi, on dit «les pointeurs». (Peut-être parce qu'un pointu est une barque de pêche ?)
Pas certaine qu'ils soient plus méprisables du fait qu'ils incarnent (avant tout) la faillite d'un système patriarcal que la détention tente de reproduire tout en ne supportant pas bien l'image de cette défaillance que leur renvoient ces individus.
Écrit par : ArD | 20.05.2011
Ils incarnent surtout, ArD, la pulsion pour laquelle les autres sont fiers de n'être pas tombés... Ce qui ne signifie pas qu'ils ne l'aient pas.
Il y a, dans la morale carcérale, une hiérarchie du crime.Côté détenus, je veux dire. Et j'y adhère, à tort ou à raison. Un braqueur, un monte-en-l'air ( un voleur de voleurs) aura tout de suite ma sympathie (même s'il est un individu mauvais par ailleurs), alors qu'un pointu aura mon mépris épidermique, irréfléchi (même s'il est lui-même une victime et blablabla, et blablabla). Suis pas psy, moué.
Un pointeur ? Oui, on dit ça aussi...Mais en dehors des Baumettes, , ça évoque plutôt la pétanque... Le pointeur associé au tireur...On n'en sort pas de cette sémantique
Écrit par : Bertrand | 20.05.2011
..et ça n'est pas un billet doux ! (sourire)
Écrit par : Bertrand | 20.05.2011
Billet astucieusement et joliment décalé !
Écrit par : solko | 20.05.2011
Filer le billet doux et courir le guilledou,... Histoire de sémantique (encore !).
Écrit par : ArD | 20.05.2011
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