UA-53771746-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

16.09.2010

Archéologie

apache.jpgChaque matin de septembre, ou presque, sur la route impeccablement revêtue, la route régionale qui musarde de Łomazy à Biała, entre les forêts, je les rencontre.
Je sais qu’ils seront là.
A la sortie de tel ou tel virage.
Il me faudra freiner à mort avant de les doubler, si la voie est libre. Ou alors, il y aura déjà une file d’attente, les feux stop aux abois, les clignotants impatients, un coup de klaxon peut-être, d’un qui est déjà en retard, ou qui est plus nerveux que tout le monde.
Car ils ne vont vraiment pas vite. Ils flânent, ils cahotent, ils vont peinards, insouciants, en marge, dans le matin gris de l’automne qui s’annonce.
Avec du vent qui frissonne dans les branches, de chaque côté de la route.
Ils sont lents, mais ponctuels.

Ils, c’est un cheval, une charrette et un homme. Un grand cheval roux avec une crinière généreuse et noire, un peu maigrichon, et qui hoche la tête de droite à gauche tout en cheminant sa vie de cheval. Il a des pompons de laine rouge qui se balancent sur ses œillères ; C’est son code de la route à lui et ça veut dire : Attention,  cheval qui s’effraie des voitures !
Il tire une charrette étroite lourdement encombrée de bois de chauffage. Des chutes de la  scierie de Lisy, toute proche. Du chêne.
L'homme est assis sur le chargement, presque au sommet, confortablement  installé entre les bois, les pieds dans le vide comme s’il montait en amazone. De très longs  rênes flottent de l’encolure du bidet jusque dans ses mains, en effleurant la croupe chevaline et le timon de la petite carriole.
C’est un assez vieil homme. Il peut bien avoir soixante-dix ou quatre vingt printemps. Invariablement, un brûle-gueule s’agace entre ses quelques dents et comme il est obligé de le tenir serré, on dirait qu’il sourit.
Il est mal rasé et il a les yeux très bruns.
De temps à autre, il soulève une fesse, étire son cou, se pousse du col et jette un regard en arrière, pour voir si l’embouteillage n’est pas trop conséquent quand même.
Qu’il le soit ou pas, de toute façon ça ne changera rien. Il fait ça pour voir, histoire de se montrer urbain, peut-être.
Car il n’ira pas plus vite pour autant, le cheval est à fond, quatre ou cinq à l’heure. Et il ne se rangera pas sur le bas-côté. Il n’y a pas de place…Un bidet, c’est pas une mécanique, ça ne se manœuvre pas comme ça ! Et puis, s’il est là, c’est qu’il a à faire. Chacun son rythme. Chacun sa saison. Chacun son époque. Chacun son commerce.
Il tire sur sa bouffarde et il sourit.
Il  a rendez-vous. Il va livrer son bois à quelque citadin de Biała. Un chargement doit bien lui prendre la journée entière. Son arithmétique est autre. Son commerce, c’est presque encore du troc.
Il est un de ces derniers Apaches encore debout, encore ponctuels, avant que l’Europe centrale, comme l'écrit Stasiuk, n’en soit réduite à n’être plus qu’une notion météorologique.
S’il venait à disparaître, un bout de poétique de ce coin de Podlachie s’envolerait au vent et il est pour moi comme un frère parce qu’il est un morceau
éparpillé  de ma propre archéologie.
Ferait-il son petit trafic en tracteur, qu’il m’agacerait, à me ralentir comme ça !
Jagoda jette toujours un œil à la pendule, du plus loin qu’elle aperçoit le sombre chargement, avec les pattes du cheval qu’on voit, par en-dessous la charrette.

L’école est à huit heures…

13:08 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

D'autant plus paradoxal que le temps qu'il consacre à l'affaire va partir en fumée (sourire).

Écrit par : ArD | 16.09.2010

J'aime bien les bofs comme vous hi!hi!

Écrit par : voyageuse | 16.09.2010

ArD, c'est bien vrai, ça...Et comme y'a pas de fumée sans feu, c'est forcément un temps chaleureux...Bof...
Dites donc, là, la voyageuse, vous ne vouliez pas dire beauf au moins !

Écrit par : Bertrand | 17.09.2010

C'est sans doute un des rares endroits où se cotoient encore ceux qui vivent ou plus exactement survivent à 200 à l'heure et ceux qui ont tenu bon, qui arpentent au rythme des années 50 les chemins vicinaux ordinaires; j'imagine les clashs que çà peut créer; Bertrand, il n'y en pas deux comme toi pour me transporter dans ma petite enfance, le train de Paris à Montluçon avec la grande malle en osier puis la micheline , direction Guêret et le tonton avec la voiture à cheval pour nous mener de la petite gare à la maison de famille;un bon retour en arrière avec l'odeur encore intacte de la scierie voisine..merci

Écrit par : Anne-Marie Emery | 17.09.2010

Je vous dirai juste que c'est une recette pas plus na!
Bien sur que c'est chaleureux, j'espère lire vos livres bientôt.
Attention au gorille

Bon week-end

Écrit par : voyageuse | 18.09.2010

Superbe site, je vous remercie pour ces conseils et je suis d'accord ! Permettez-moi d'insister, oui votre travail est bon, très instructif... PS : J'attends avec impatience la suite !

Écrit par : poele a granulés | 19.10.2010

Les commentaires sont fermés.