29.04.2010
Contes et légendes de Podlachie - 5 -
La légende du rêve
Sur son beau trône cousu d’or et d’argent, le roi des rois, le bon roi des Yadzvingues, gémissait et se morfondait à faire peine.
Son cœur en effet était la proie de la plus terrible des douleurs : son fils, son fils bien aimé, le futur souverain du pays des Yadzvingues, étendu sur sa couche depuis des lunes, muet, les yeux obstinément perdus dans le vague, se mourait lentement d’une étrange maladie qu’aucun savant ni sorcier n’était jusqu’alors parvenu à identifier.
Au désespoir, le roi des rois, le bon roi des Yadzvingues, se résolut à faire venir en son palais l’astrologue, celui qui savait lire dans le grand ciel des nuits d'été, celui qui parlait aux étoiles lointaines et prédisait par-delà les horizons.
Il lui enjoignit de se rendre immédiatement au chevet du dauphin et d’en deviner tout le mal. Le lecteur des astres et du grand mouvement des choses veilla alors sur le sommeil de son royal patient et quand Vénus brilla au-dessus de sa couche, l’éclairant d’une fine et pâle lueur qui vacillait, il vit apparaître la maladie qui accablait le jeune garçon.
Ce après quoi, morose, il revint en informer le bon roi.
Parle ! Ne me fais pas languir, parle ! Dis-moi la souffrance de mon fils chéri !
L’astrologue hésita un moment, s'inclina légèrement en frottant sa grande barbe blanche et murmura que le jeune Yadwvingue se mourait d’amour…
À ces mots inattendus, le roi des rois éclata de rire et tendit ses bras charitables vers le savant des firmaments.
Approche, que je t'embrasse ! Approche ! Je te couvrirai d’or et de diamants, astrologue, puisque tu nous délivres aujourd'hui de bien funestes présomptions ! Si le prince est malade d’amour, alors, je saurai le vite guérir. Sois béni, divin astrologue !
Si celle qu’il aime est encore vierge, elle sera sa femme avant que la lune n'atteigne son plein.
Si elle est mariée, alors je déclarerai la guerre à nos plus proches voisins, je placerai son mari aux premières lignes de la bataille, il tombera aussitôt, couvert de gloire et de bravoure (accessoirement de sang, NDLR) et nous fêterons en même temps ses funérailles et le mariage de la veuve et du prince.
(Voyez dès lors comme je ne vous ai point abusés, lecteurs et lectrices, en vous signalant que ce roi était vraiment bon...)
L’astrologue cependant frottait de plus en plus sa barbe en baissant de plus en plus la tête.
Mais, roi des rois, bon roi, on ne peut épouser qu'une femme vivante…
Le roi pâlit, se leva d’un bond et s’écria : Comment ? Que me chantes-tu là, astrologue de malheur ? La femme idéale de mon fils, celle dont ils est épris au point d'en avoir sombré, serait -elle morte ?
Elle n’a pas pu mourir, répondit dans un murmure l’astrologue qui se courbait maintenant. Elle n’a pas pu mourir puisqu’elle n’a jamais vécu…
Je l’ai vue néanmoins devant moi, qui dansait sous la lumière étrange des étoiles du ciel…Cette femme est délicieusement belle, roi des rois. La plus belle et la plus inaccesible de toutes les femmes. Ses yeux sont grands et scintillent comme les mille broderies de la nuit, ses cheveux sont noirs et lourds et des reflets d'azur brillent autour de leur long ruissellement, son parfum évoque des rivages inconnus aux couleurs chatoyantes et son corps est plus fin que le plus fin des diamants.
Le prince, hélas, jamais ne la serrera dans ses bras et longtemps se languira encore à vouloir la posséder…Il se languira jusqu’à en mourir bientôt.
Parle, maudit astrologue ! Parle ou je te fais trancher la tête sur le champ, rugit le roi des rois, le bon roi desYadzvingues …Parle ou je te livre à d’odieuses tortures, je te fais arracher la langue, je te fais dresser un bûcher, je te damne à jamais !
Dis le nom de cette femme !
(Voyez derechef comme je ne vous ai point abusés, lecteurs et lectrices, en vous signalant combien ce roi était bon...)
L’astrologue s’inclina alors très bas, tellement bas que sa barbe en effleura le sol et il chuchota enfin :
Cette femme s’appelle…le Rêve.
08:14 Publié dans Contes et légendes de Podlachie | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
C'est vraiment magnifique Bertrand. J'aimerais bien voir les versions de départ dans ce travail que tu fais. J'imagine bien leur minceur, pour connaître un peu le domaine des contes. Lire tes versions à toi est un délice. Vraiment. C'est de la belle ouvrage. Dépose un copyright ou je ne sais quoi.
Écrit par : Michèle | 29.04.2010
Ah, la femme idéale dont tout le monde rêve... Celle qui détiendrait l'autre moitié de notre âme.
Écrit par : Feuilly | 29.04.2010
C'est en yadzvingue ?
Écrit par : Michèle | 29.04.2010
Non, non, c'était pas du yadzvingue, c'était un échange un peu loufoque entre Dorota et moi...Nous avons décidé, à l'unanimité, vote à main levée, d'enlever...
Plus sérieusement, c'est vrai que les versions originales de ces contes sont un peu naives.
Je garde l'idée première, la trame, et je réécris à ma façon.
Merci de ton appréciation.
Oui, Feuilly, cette femme existe t-elle ailleurs que dans le rêve ou faut-il rêver sa vie, tout simplement ?
That is the question...
Écrit par : Bertrand | 29.04.2010
Rêver sa vie ... Mais n'est-ce pas ce que nous faisons tous... Longtemps qu'on nous aurait enterré, sinon ! Enfin. Je parle pour moi.
D'où il appert que le bon roi devrait comprendre que contrairement aux dires de son astrologue, son garçon ne risque rien entre les mains de rêve d'une si jolie princesse...
Écrit par : solko | 29.04.2010
C'est exact, Solko...Si nous n'avions nos Graals, là bas sur des lignes incertaines d'horizon,longtemps que nous aurions vidé notre dernier verre (clin d'oeil).
Écrit par : Bertrand | 29.04.2010
Les poètes, au lieu de profiter de la vie, vous rêvez toujours de qqch ou de qqn qui n'existe pas . Carpe diem, messieurs, carpe diem !
Écrit par : dorota | 29.04.2010
D'accord avec Solko que le jeune prince "ne risque rien entre les mains de rêve de sa jolie princesse".
Écrit par : Michèle | 29.04.2010
Le rêve comporte d'autres risques que la réalité, mais il en comporte....Chacun ont leurs déconvenues...
Dites donc, Madame Dorota, mais..nous cueillons, nous cueillons...Nous ne faisons même que ça....
Écrit par : Bertrand | 30.04.2010
Pigeoune...
Écrit par : Dorota | 30.04.2010
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